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Le père Ayroles aurait mieux fait de répondre que le procès de Rouen fut tout politique. On ne peut nier que l’université de Paris n’ait considéré Jeanne comme un suppôt du diable, « comme la fille de Bélial, de Satan et de Béhémoth, » et qu’elle n’ait poursuivi sa condamnation avec un implacable acharnement. Mais le dogmatisme n’était pour rien dans cette affaire. Ainsi que le peuple de Paris presque tout entier, l’université avait pris parti pour le Bourguignon et pour l’Angleterre, et en poursuivant Jeanne, dont les faits et dits condamnaient son choix, elle ne faisait que servir le maître qu’elle s’était donné. Les Anglais détestaient la Pucelle à ce point que, pour en avoir dit du bien, une femme fut brûlée vive. Chaque fois que les juges parurent mollir ou biaiser, ils coururent danger de mort ; on les prenait à la gorge, on leur criait : « Prêtres, vous ne gagnez pas l’argent du roi ! » et les épées sortaient du fourreau.

Ce n’était pas seulement leurs défaites et la honte d’avoir fui devant une bergère, paupercula bergereta, que les Anglais voulaient venger par son supplice. La raison d’état et leurs plus graves intérêts étaient en jeu. Comme l’a si bien remarqué Michelet, si les victoires de Jeanne n’étaient pas rapportées au démon, elles étaient des œuvres de Dieu, elles restaient des miracles dans l’opinion du peuple, et la cause anglaise était celle du diable. Dans le fond, ce qu’ils voulaient atteindre en sa personne, c’était Charles VII, qui lui devait sa couronne : « O Jeanne ! s’écria l’un des prédicateurs gagés par eux, en croyant à tes paroles, ton roi qui se dit roi de France est devenu par toi hérétique et schismatique. » A quoi elle répondit : « Sauf respect, ce que vous dites n’est pas vrai, et je veux que vous sachiez que nul homme vivant n’est meilleur chrétien que lui. « Il fallait que Jeanne fût brûlée ou comme sorcière ou comme hérétique ; sinon le sacre de Reims était bon, le ciel avait parlé, et Charles étant le roi légitime de France par la volonté et la grâce de Dieu, l’Anglais avait perdu la partie : il ne lui restait plus qu’à s’en aller.

Au surplus, si des hommes d’église ont instruit son procès, le siège apostolique, vingt-quatre ans plus tard, a annulé le jugement et prononcé sa réhabilitation. La commission nommée par le pape Calixte III se composait de l’archevêque de Reims, de l’évêque de Paris et de l’évêque de Coutances, qui s’adjoignirent le dominicain Jean Bréhal, grand inquisiteur. Huit mois furent employés à la révision, 118 témoins furent entendus, et le 7 juillet 1456, ces juges pontificaux cassaient la sentence de Pierre Cauchon, qu’ils déclaraient « entachée de dol, de calomnie, d’iniquité, de contradiction, d’erreur manifeste de droit et de fait. » Ils déclaraient aussi que Jeanne n’avait contracté par sa condamnation aucune souillure, aucune note d’infamie, « qu’ils la lavaient entièrement de toute tache, » et ils ordonnaient qu’une croix fût plantée sur le Vieux-Marché, « au lieu où elle avait été cruellement