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Les libres penseurs qui désirent se mettre en règle avec leur conscience et admirer Jeanne tout à leur aise, sans scrupule, prennent à leur compte la sentence de Pierre Cauchon, son juge et son bourreau, et comme lui, ils la tiennent pour une schismatique, pour une hérétique, sur laquelle l’église n’a rien à prétendre. Quoi qu’ils en disent et malgré qu’ils en aient, cette plante avait crû dans le jardin de l’église du moyen âge ; elle en est un produit aussi naturel que les cathédrales de Reims et de Cologne, que les vierges et les anges de fra Angelico-ou que le livre de l’Imitation. Dès son enfance, elle allait volontiers aux saints lieux. Elle se confessait souvent. Si elle soignait les malades, donnait aux pauvres, elle était aussi pieuse que charitable et rougissait quand on lui reprochait d’être trop dévote. Toute sa vie, elle eut le goût des pratiques, des observances, et comme une passion pour le son des cloches.

Les messagères célestes, à qui elle eut affaire, sainte Marguerite, sainte Catherine, étaient des saintes fort authentiques, et elles lui recommandaient de ne point négliger le service divin. Dans les horreurs des derniers jours, elles lui ont dit : « Prends tout en gré, ne te chaille de ton martyre ; tu t’en viendras enfin en royaume de paradis. » Jamais personne n’eut l’imagination plus catholique. Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, qui s’étaient offerts à Baudricourt pour la conduire à Charles VII et qui à travers mille hasards l’ont escortée de Vaucouleurs à Chinon, ont déclaré « qu’auprès d’elle leurs sens recouvraient le calme et la pureté des jours de l’Éden. » Ce fut par la religion qu’elle eut prise sur les vieux brigands Armagnacs, dont elle fit de fidèles champions du royaume des lis. Elle leur commanda de quitter leurs filles de joie, et elle exigea qu’ils se confessassent. « Dans la route, le long de la Loire, elle fit dresser un autel sous le ciel ; elle communia et ils communièrent. »

— C’est l’Église qui l’a brûlée, dit-on. — N’en croyez rien, répond le révérend père jésuite dont j’ai parlé plus haut, c’est l’université de Paris, à laquelle Cauchon appartenait, et qui jadis avait choisi ce docteur très influent pour conservateur de ses privilèges. Cette thèse revient souvent, presque à chaque page, dans le gros livre un peu indigeste, mais fort instructif, que le père Ayroles vient de consacrer à Jeanne d’Arc ; on y trouve, avec quelques documens inédits, la traduction presque intégrale de mémoires dont Quicherat n’avait donné que la substance[1]. Le père Ayroles hait passionnément l’université du XVe siècle ; il la tient pour la mère du gallicanisme, lequel a enfanté les jansénistes, Luther, Calvin, Kant, Robespierre, la franc-maçonnerie et la libre-pensée.

  1. La vraie Jeanne d’Arc : la Pucelle devant l’église de son temps, par Jean-Baptiste-Joseph Ayroles, de la compagnie de Jésus. Paris, 1890 ; Gaume et C°.