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perfectionner, n’ont fait, nous le voyons, qu’altérer, que défigurer, que corrompre en eux. Ou, si l’on veut encore, tandis que leurs maîtres, à chaque pas qu’ils font, s’enfoncent plus avant dans le ridicule, elles sont belles, elles, si je puis ainsi dire, de leur simplicité, de leur ignorance, et de leur santé.

Considérez également la nature des sujets, et la leçon qui s’en dégage. A cet égard, la dernière des comédies de Molière, — ce Malade imaginaire que l’on a quelquefois le tort de ranger, avec Pourceaugnac ou Scapin, parmi ses farces, — est peut-être la plus instructive. On s’est, en effet, demandé plusieurs lois d’où procédait l’étrange acharnement de Molière contre la médecine et contre les médecins. Les Purgon et les Diafoirus étaient-ils donc, eux aussi, comme on l’a dit, « l’un des fléaux du siècle ? » et Molière, en les ridiculisant sur la scène avec une liberté sans mesure, — dont il n’y a pas un seul trait qui n’atteigne encore à travers eux tous leurs successeurs, — croyait-il peut-être rendre le même service à l’hygiène qu’à la morale en s’attaquant aux Tartufes ? Ou bien encore, dirons-nous qu’ayant éprouvé sur lui-même l’inutilité de leurs prescriptions et la vanité de leur art, il n’aurait fait, depuis son Don Juan jusqu’à son Malade imaginaire, que soulager sur eux ses rancunes de valétudinaire ? Non ; mais la vérité, c’est qu’à ses yeux, les prétentions des médecins ne sont pas moins ridicules, en leur genre, que celles mêmes des dévots. Eux aussi, comme les dévots, ils se croient plus forts ou plus habiles que la nature, et ils se vantent, comme eux, de la réparer, de la rectifier, et au besoin de la perfectionner. Avec leurs remèdes, comme les autres avec leurs « grimaces, » ils se croient assez habiles pour en contrarier les opérations ; ils nous promettent, si nous les écoutons, de nous rendre, avec des saignées, des purgations, et des lavemens, nos forces qui s’en vont ; et cette matière, selon l’expression de Lucrèce, que la nature nous redemande incessamment pour d’autres usages, ils se flattent, de la fixer, pour ainsi dire, de la faire durer et de l’éterniser en nous.

N’est-ce pas, au surplus, ce que Béralde dit en propres termes, dans une longue scène du Malade imaginaire, qu’on a grand soin d’abréger au théâtre, et dont je prends, pour cette raison, la liberté de reproduire ici quelques lignes. « La nature, dit-il, d’elle-même, quand nous la laissons taire, se tire doucement du désordre où elle est tombée ; » et comme Argan lui répond qu’encore peut-on bien « aider cette nature par de certaines choses, » il réplique, avec une insistance et une âpreté nouvelles : « Mon Dieu ! mon frère, ce sont de pures idées, dont nous aimons à nous repaître… Lorsqu’un médecin vous parle d’aider, de secourir, de soulager la