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la subordination des situations aux caractères ; la simplicité de ses intrigues, dont la plupart ne sont que des « scènes de la vie privée ; » l’insuffisance de ses dénoûmens, qui, justement parce qu’ils n’en sont point, ressemblent d’autant plus à la vie, où rien ne commence ni ne finit. Par là encore s’expliquent l’espèce et la profondeur du comique de Molière. Entre tant de moyens qu’il y a de provoquer le rire, si Molière savait trop bien son triple métier d’auteur, d’acteur et de directeur pour en avoir dédaigné ou négligé aucun, sans en excepter les plus faciles et les plus vulgaires, il y en a pourtant un qu’il préfère ; et ce moyen, c’est celui qui consiste à nous égayer aux dépens des conventions ou des préjugés vaincus par la toute-puissance de la nature. Enfin, par là toujours, par la confiance qu’il a dans la nature, s’explique encore et surtout le caractère de sa satire, si, comme on le sait, il ne l’a jamais dirigée que contre ceux dont le vice ou le ridicule est de masquer, de fausser, d’altérer, de comprimer, ou de vouloir contraindre la nature.

C’est ainsi qu’il ne s’en est point pris au libertinage ou à la débauche ; il ne s’en est point pris à l’ambition ; on ne voit pas même qu’il ait manifesté l’intention de les attaquer jamais. En effet, ce sont vices qui opèrent dans le sens de l’instinct, conformément à la nature ; ce sont vices qui s’avouent et au besoin dont on se pare. Quoi de plus naturel à l’homme que de vouloir s’élever au-dessus de ses semblables, si ce n’est de vouloir jouir des plaisirs de la vie ? Mais, en revanche, précieuses de toute espèce et marquis ridicules, prudes sur le retour et barbons amoureux, bourgeois qui veulent faire les gentilshommes et mères de famille qui jouent à la philosophie, sacristains ou grands seigneurs qui couvrent


De l’intérêt du ciel leur fier ressentiment ;


les don Juan et les Tartufe, les Philaminte et les Jourdain, les Arnolphe et les Arsinoé, les Acaste et les Madelon, les Diafoirus et les Purgon, voilà ses victimes. Ce sont tous ceux qui fardent la nature ; qui, pour s’en distinguer, commencent par en sortir ; et qui, se flattant enfin d’être plus forts ou plus habiles qu’elle, ont affecté la prétention de la gouverner et de la réduire. Inversement, tous ceux qui suivent la nature, la bonne nature, les Martine et les Nicole, son Chrysale et sa Mme Jourdain, Agnès, Alceste, son Henriette, avec quelle sympathie ne les a-t-il pas toujours traités !


Voilà ses gens, voilà comme il en faut user.