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rire d’autres bouffonneries que les siennes, — lesquelles ne sont pas, au surplus, toujours gaies, — et la légende raconte que le Florentin s’y employait de son mieux. Pareillement, à celui que son siècle appelait le « contemplateur, » il semble qu’aujourd’hui nous ne demandions plus, nous, que de nous divertir. Bouffon il lut, bouffon qu’il reste ! Toute son affaire est de nous amuser ; et, si ce n’est pas nous, nos pères l’ont payé pour cela ! On oublie seulement qu’il serait mort, aussi lui, comme tant d’autres, qui n’ont pas laissé pourtant de faire rire les « honnêtes gens » de leur temps, s’il n’y avait rien de plus dans son œuvre que dans la leur ; et que, parce qu’il nous faut, pour comprendre l’Ecole des femmes ou Tartufe, ce qu’on appelle ironiquement des « lumières, » et un « esprit, » qui sont tout à fait superflus pour entendre la Cagnotte ; c’est pour cela qu’il est Molière.

J’appuie d’abord sur cette observation. Personne aujourd’hui n’ignore que le sujet de l’École des femmes, emprunté par Molière à Scarron, est le même en son fond que celui des Folies amoureuses et du Barbier de Séville. Même situation, même intrigue et même dénoûment. Mêmes personnages aussi : Banholo, Albert ou Arnolphe, c’est toujours le même tuteur dupé ; Rosine, Agathe ou Agnès, c’est toujours la même ingénue qui le berne ; Almaviva, Éraste ou Horace enfin, c’est toujours le même amant qui l’y aide, jeune, entreprenant et vainqueur. Cependant, quelque estime que l’on fasse de Beaumarchais ou de Regnard, ils ne sont point Molière, de sa taille ni de son rang, ni peut-être de son espèce ; et, on peut bien les lui préférer, mais on ne les lui compare point. Pourquoi cela ? Car, d’avoir paru le premier des trois, on n’en saurait faire un grand mérite à l’auteur de l’Ecole des femmes. En admettant d’ailleurs que ce mérite en soit un, ce n’est pas à lui qu’il appartiendrait, c’est à Scarron, nous venons de le dire, et non pas même à Scarron, mais à doña Maria de Zayas y Sotomayor, le nouvelliste espagnol dont Scarron a lui-même imité sa Précaution inutile. D’un autre côté, de bons juges, des juges délicats et subtils ont pu soutenir, non sans quelque raison, que le vers de Molière, en général, n’avait pas l’élégance et l’aisance, la grâce de facilité de celui de Regnard ; que son style, plus cossu peut-être, selon l’heureuse expression de Sainte-Beuve, était cependant moins vif, moins alerte, moins spirituel ; son allure moins libre et moins cavalière. Et qui refusera de convenir enfin que, si le Barbier de Séville n’est pas mieux intrigué que l’École des femmes, il l’est à tout le moins d’une manière plus implexe, comme on disait jadis, plus ingénieuse, plus riche en surprises, plus voisine en tout cas de notre goût moderne ? Depuis Molière jusqu’à Beaumarchais, dans