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pour tout dire. Nous n’avons parlé que de la population masculine, et pourtant les femmes tenaient une grande place dans la vie de Paris. Non-seulement celles qui, dans la rue, femmes du peuple vêtues de serge de Reims, harengères au langage épicé, marchandes des quatre saisons, servantes, chambrières et chambrillons en cotte simple et bavolet, augmentaient le tumulte et le désordre ; mais, sur le pas de leurs portes, les bourgeoises, de tenue discrète, avec la robe sombre, la large coiffe blanche, la mante noire à plis réguliers, et, si elles sortaient, le manchon et le manteau garni de fourrures ; ou bien la damoiselle montée sur une mule, une plume dans les cheveux, ceux-ci poudrés à la poudre de Chypre et parfumés de fleur d’oranger, faisant de gros bourrelets sur les oreilles, la figure couverte du mimi, la gorge découverte entourée d’un large collet plat de dentelle ajourée, les bras perdus dans des manches très bouffantes et tailladées, les mains dans des gants de soie, avec de riches revers de guipures très évasés, enfin la taille haute et roide, dans un corset étroit faisant pointe sur le ventre, et le bas du corps engoncé dans l’armature hanchue du vertugadin.

Nous avons dit le tumulte du centre de la ville ; mais nous n’avons pas dit le silence des longs faubourgs, avec les murailles infinies des couvens, laissant échapper, par-dessus, la rare verdure des jardins ; nous n’avons pas dit la Bièvre, renommée par la qualité tinctoriale de ses eaux, mais dont les terribles déborde-mens ravageaient le quartier Saint-Marcel ; nous n’avons pas dit le faubourg Saint-Antoine, avec ses ouvriers brodeurs ; la rue Saint-Jacques, avec ses libraires, le faubourg Saint-Germain, avec ses académies de jeux, les marais du Temple, avec leurs filles de joie.

Nous avons dit les rues, mais nous n’avons pas pénétré dans l’intérieur des maisons et nous n’y avons pas montré la vie citadine commençant à s’organiser dans les salles des nouveaux hôtels, claires et tendues de nattes. L’ère des précieuses va bientôt s’ouvrir, et c’est l’époque où Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, dessinant elle-même les plans de son hôtel, apprenait aux architectes à mettre les escaliers dans un coin du bâtiment, à construire une grande enfilade de chambres, à exhausser les planchers, à faire des portes et des fenêtres hautes et larges et vis-à-vis les unes des autres ; « c’est elle aussi qui s’avisa la première de faire peindre une chambre d’autre couleur que de rouge ou de tanné, et c’est ce qui a donné à sa grande chambre le nom de chambre bleue. »

Dans ces nouvelles constructions allaient s’introduire bientôt l’air galant, les conversations raffinées, les pointes à l’italienne. En