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réserve, d’économie étroite et de dignité un peu contrainte. Voici maintenant le militaire tout chaud encore des grandes guerres de Flandre et d’Allemagne, exagérant dans son costume, dans son attitude, dans toute sa façon d’être, les qualités et les défauts de l’homme d’action, très brave, très chatouilleux, très à la main et ferré sur le point d’honneur, toujours prêt à dégainer et toujours gonflé de ses exploits réels ou imaginaires : jamais le héros n’avait frisé de plus près le matamore.

En voici un qui passe sur son cheval de guerre à la tête courte, à la crinière tressée ; le pot en tête, la poitrine couverte de la cuirasse, les chausses vastes, l’épée épaisse et large, les longs pistolets dans des fontes qui battent l’étrier, les jambes enveloppées dans d’immenses houseaux de cuir garnis d’éperons rouilles. Celui-là a fait ses premières armes du temps du roi Henri ; il garde toute la rudesse des vieilles coutumes militaires ; il a dormi sur la terre dure ; son visage est bronzé et couturé ; il porte la barbe pleine, en coup de vent, selon la mode du Béarnais, et il se vanterait volontiers, comme son défunt maître, de sentir le gousset.

En voici un autre : c’est un cavalier du bel air, sortant de l’Académie : chapeau de feutre rejeté en arrière, plume au vent, œil clair et teint frais, moustache blonde relevée en croc, barbe en pointe ; le collet à double rang de dentelles, le petit manteau garni de fourrures, relevé par l’épée, le haut-de-chausses ample et plissé, le mollet hardi sur le soulier aux larges oreilles et les éperons sonnans.

Voici maintenant une troupe nombreuse, bien montée, armée jusqu’aux dents. Elle bouscule devant elle les marchands et les carrosses qui, dans la rue étroite, s’arrêtent et se rangent. C’est un homme de condition, c’est un seigneur qui se rend au Louvre. Lui et sa suite étalent, dans un flot de dentelles, de plumes, d’étoffes éclatantes, de broderies d’or et d’argent, un luxe lumineux. Ce groupe étincelle, sur le fond sombre d’une vie généralement pénible, comme le capitaine, vêtu de blanc, éclaire le premier rang des arquebusiers dans la Ronde de Rembrandt.

En tête, le maître, monté sur un fin genêt d’Espagne, habillé à la dernière mode de 161/i : chapeau rond à bords étroits,


garni d’un crêpe fin
Bouffant en quatre plia et moitié de satin ;


fraise petite et petit collet garni de dentelles, « en forme de rondeau ; » pourpoint serré, en satin rouge ou cramoisi, laissant bouffer par