Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/648

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ratons tout chauds ; » puis le marchand « d’eau-de-vie pour réjouir le cœur, » avec le flacon et le verre à la main ; puis le marchand de « vinaigre, bon vinaigre, » poussant sa brouette devant lui ; puis le gagne-petit, avec sa meule roulante et le cri strident du couteau usé sur le grès ; enfin, quand tombait la nuit, la cliquette du marchand d’oubliés, son chant : « Oublies, oublies, où est-il ? » et sa lanterne promenant sur le pavé une errante et pâle lumière.

Un enterrement passait, allant vers le charnier des Innocens, le prêtre en tête, marmonnant des prières, l’enfant de chœur faisant tinter sa sonnette ; et derrière, le mort, sans cercueil, porté sur les épaules de ses parens et de ses amis, salué d’un signe de croix par la foule superstitieuse. Tous les étrangers remarquent la piété de la population parisienne, le luxe du service divin dans les églises, la beauté de leur décoration intérieure, le bruit éternel des cloches, le grand nombre de prêtres, moines, nonnes, circulant dans les rues. Il ne faut pas oublier que Paris s’était battu dix ans, sous la Ligue, pour rester catholique ; qu’il avait eu alors, pour tribuns et pour capitaines, ses curés et ses moines. Il régnait encore beaucoup de cet esprit dans la foule, et il n’eût pas été prudent à un hérétique de ne pas s’agenouiller devant le Saint-Sacrement, qui passait par les rues et que les longues processions suivaient lentement. Il se fût exposé à la fureur d’un peuple mobile, qui ne saisissait que trop volontiers les occasions d’attroupement et de divertissement violent.

Les laquais y tenaient le premier rang, par le nombre et par l’insolence. La domesticité n’ayant pas, alors, le caractère servile qu’elle a pris depuis, c’était, pour des fils venus de la province, une façon comme une autre de commencer la vie que de se mettre aux gages d’un grand, d’un seigneur, d’un bon bourgeois. Habillés de gris, les laquais se réunissaient armés, malgré les ordonnances. Ceux qui servaient les courtisans copiaient leurs allures fanfaronnes et provoquaient les citadins paisibles ; ils hantaient les maisons de jeux et de débauche, bravaient le guet et prêtaient la main à n’importe quel mauvais coup. Ils s’accompagnaient de la tourbe non moins tumultueuse des écoliers, clercs de procureurs et serviteurs de dame Basoche, gens râpés, vêtus de noir, aux figures pâles et aux dents longues. Dans un temps où les charges de robe étaient excessivement nombreuses, où la manie des procès sévissait, c’était une autre façon de s’ouvrir une carrière, qui s’arrêtait trop souvent, hélas ! à cette première étape. L’aigreur des gratte-papier était toujours de partie avec la misère des va-nu-pieds et le brigandage des coupeurs de bourse.