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Le Palais complétait admirablement le Pont-Neuf. Si celui-ci était, toute proportion gardée, ce qu’est le boulevard actuel, l’autre représentait à peu près ce que fut, pendant longtemps, le Palais-Royal : la bonne compagnie, les gens d’affaires et les hommes de lettres s’y donnaient rendez-vous. Paris qui raillait et riait au Pont-Neuf achetait, raisonnait et disputait au Palais.

Reconstruit par saint Louis et par Philippe le Bel sur l’emplacement d’un vieux bâtiment gallo-romain, le Palais de la Cité avait été longtemps habité par les rois. Ils l’avaient peu à peu délaissé pour le Louvre. Mais tout, dans sa construction, rappelait le souvenir du roi féodal. Il formait un quadrilatère, présentant à la rivière une façade imposante, hérissée des cinq tourelles de l’Horloge et de la Conciergerie. Du côté de la Cité, au contraire, l’aspect était médiocre : c’était une rangée de maisons et de boutiques, coupée par deux portes garnies de tours, donnant accès dans une cour carrée, au milieu de laquelle s’élevait la Sainte-Chapelle. Celle-ci était à peu près telle que nous la voyons aujourd’hui. Cependant, le clocher primitif avait été remplacé par un autre en forme d’oignon infiniment moins élégant. La Sainte-Chapelle était reliée aux deux côtés du carré, d’une part par le charmant édifice de la Cour des Comptes, malheureusement détruit au XVIIIe siècle, et, d’autre part, par la grande salle gothique qui conduisait à la cour du Parlement. Bâtie sur l’emplacement de la salle actuelle des Pas-Perdus, elle allait bientôt périr dans l’incendie de 1618. Elle était considérée comme un des plus beaux monumens de Paris et elle provoquait l’admiration des visiteurs par sa grandeur, par les statues de tous les rois de France dressées le long de ses colonnes et par la fameuse Table de marbre, symbole de l’autorité du suzerain sur ses vassaux. C’était derrière cette table que siégeaient les cours féodales et c’était autour d’elle que se donnaient les festins royaux. L’affectation primitive de la salle elle-même avait été la réception de l’hommage et la célébration de toutes les cérémonies seigneuriales. Aussi elle avait été, de tout temps, un des centres historiques de la vie parisienne. C’était là que le dauphin Charles avait dû s’incliner devant la fureur populaire. C’était là que s’étaient passées les scènes les plus déplorables de la Ligue. Sous Louis XIII, elle était réservée aux discussions et aux disputes plus paisibles des avocats, des marchands et des nouvellistes. C’est à peine si, parfois, la grossièreté d’un laquais venait en troubler le calme bourdonnement.

Corneille a placé, dans la Galerie du Palais, le lieu d’une de ses comédies familières. Le libraire, la lingère, l’orfèvre, s’y entretiennent avec leurs nobles cliens. Une estampe d’Abraham Bosse nous montre, en effet, les boutiques ouvertes devant les élégans