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bateliers ou débâcleurs, courtiers de chevaux, manouvriers, hommes de peine, débardeurs, gaigne-deniers, — tous organisés en corporation, avec leurs mœurs propres, leurs coutumes, leurs saints, leurs insignes et leurs bannières, laborieux et paisibles en temps ordinaire, mais, dans les époques de trouble et de disette, force redoutable, capable de faire trembler les rois.

Sur la rive gauche, l’enceinte de Philippe-Auguste, remaniée et complétée par Charles V, séparait l’Université des faubourgs environnans. Prenant à la tour de Nesle, elle décrivait un demi-cercle qui, par les portes de Bucy, Saint-Germain, Saint-Michel, Saint-Jacques, Saint-Marcel et Saint-Victor, rejoignait la porte Saint-Bernard, située à peu près au droit de notre pont des Tournelles. Cette enceinte était composée de fossés assez larges, d’une muraille crénelée, restaurée durant les sièges de la Ligue, et fortifiée, à des distances assez rapprochées, par des tours coiffées en poivrières.

Elle séparait de la ville elle-même des faubourgs immenses, qui portaient les mêmes noms que les portes, et qui, pour la plupart, étaient aux mains des moines. Presque toutes les grandes villes étaient ainsi entourées d’une ceinture de prières, de béatitude et de mendicité. Ceux de Saint-Germain-des-Prés étaient solidement fortifiés dans leur abbaye. Non loin, les chartreux avaient un grand établissement sur l’emplacement du Luxembourg ; les carmélites étaient au faubourg Saint-Jacques, et les moines de Saint-Victor avaient une belle abbaye, célébrée par Rabelais, sur l’emplacement actuel de la halle aux vins.

Les couvens du dehors n’empêchaient pas les couvens du dedans. Sur la montagne Sainte-Geneviève, à travers toute l’Université, ils foisonnaient. C’étaient les augustins, les mathurins, les cordeliers, les jacobins, les carmes, les bernardins, tous monastères munis de beaux bâtimens, grands réfectoires, vastes jardins, riches chapelles, églises imposantes, tours massives, flèches élancées, rivalisant entre eux de luxe et d’attraits ecclésiastiques, disputant les fidèles aux églises ordinaires.

Celles-ci ne manquaient pas non plus. On les construisait, non pas selon les besoins de la population, mais en raison du saint qu’on voulait honorer. Aussi elles se touchaient ; Saint-André-des-Arcs, Saint-Cosme, Saint-Sulpice, Saint-Jacques-du-Haut-Pas, Saint-Étienne, Sainte-Geneviève, Saint-Benoist, Saint-Jean, Saint-Hilaire, Saint-Séverin, Saint-Nicolas ; c’était une forêt de cloches qui répandait sans cesse sur Paris le tumulte d’un tonnerre pieux.

A côté des églises se pressaient, dans ce pays de la science, les collèges : collège d’Harcourt, du Cardinal-Lemoine, de Montaigu, du Plessis, de Calvi, de Lisieux, du Fortet, de La Marche, des Grassins, de Navarre, de Beauvais ou de Clermont, de