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des potagers. La reine Marguerite venait pourtant de faire construire, sur le bord de l’eau, un somptueux hôtel et d’aménager des jardins qui allaient, après sa mort, être livrés au public des barrières et aux filles du faubourg Saint-Germain. Tout ce terrain appartenait aux moines de Saint-Germain-des-Prés, qui, en attendant la réforme de Saint-Maur, étonnaient le monde par leur richesse beaucoup plus qu’ils ne l’édifiaient par leur dévotion. Leur principale préoccupation était de se défendre contre les empiétemens d’une vieille rivale, l’Université. Le monastère fortifié était beau, avec sa vieille nef romane et ses trois tours carrées surmontées de trois clochers pointus.

On commençait à bâtir dans les Prés-aux-Clercs ; mais c’était peu de chose, et Paris, en réalité, ne commençait, par ici, qu’à la porte de Nesle, comme il s’ouvrait, sur l’autre rive, par la porte de Bois. Une chaîne tendue sur la rivière, entre ces deux portes, à peu près à la hauteur de notre pont des Arts, pouvait intercepter le cours de la navigation. L’une et l’autre tour appartenaient à l’ancienne fortification de Philippe-Auguste et de Charles V ; et c’était une belle entrée de Paris qu’elles faisaient, toutes deux presque pareilles, épaisses, élancées, fières, avec leur tourelle accotée, leur couronne de créneaux et la potence de la tour de Nesle, tendue sur l’eau comme un bras.

La rivière qui baignait leurs fondations était sale, gâtée par les ordures de toute la ville, qui n’avait pas d’autre déversoir. Le long des berges, déchirées en petites flaques, elle s’attardait, coupée en fossés putrides, en abreuvoirs où les chevaux et les animaux de ferme venaient boire parmi les disputes des laquais et des valets. Tout le long de la Seine, des bateaux sans nombre montaient et descendaient lentement, les uns longs et hauts, halés par des chevaux et chargés de voyageurs, les autres plats et larges, couverts de foin et de fumier ; d’autres sanglés dans des bâches et portant le blé venant de Soissons ou de Corbeil, le pain fait à Melun, les légumes, le bois, le charbon, le vin dont s’alimentait la grande ville.

Toute une population spéciale s’occupait de ce qui concernait la navigation. Elle avait à sa tête les « officiers de la marchandise de l’eau » qui, de tout temps, avaient tenu une grande place dans la vie municipale de Paris : mesureurs de grains, déchargeurs de blés, farines et grains, courtiers de greffe, mesureurs d’oignons, marchands de poissons, courtiers de vins, vendeurs, jaugeurs, crieurs, déchargeurs pour les vins ; puis ceux qui s’occupaient du chauffage, compteurs et mouleurs de bûches, déchargeurs de bûches, d’échalas et de treilles, mesureurs et porteurs de charbon ; puis les mariniers proprement dits : maîtres de pont, chableurs de pertuis,