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Mais ce fut aussi dans le pillage de Jaffa que les Français contractèrent les germes de la peste.

La garnison de Jaffa, jointe à celle d’El-Arisch, que nous avions amenée à notre suite, à ceux des ennemis que nous avions pris dans le convoi d’Ibrahim-Bey, formait environ six mille prisonniers.

L’armée française était trop faible pour conserver avec elle un nombre de prisonniers si considérable. Elle ne pouvait les échanger, puisque les Turcs, nous faisant une guerre à mort, n’avaient entre leurs mains aucun prisonnier français. On n’aurait pu, sans danger, les envoyer en Égypte, car il aurait fallu, pour les y conduire, affaiblir le corps expéditionnaire, du tiers au moins de son effectif ; parce que les troupes que l’on y avait laissées auraient été insuffisantes pour les garder, en présence d’une immense population hostile. L’armée, qui déjà manquait de vivres pour elle-même, ne pouvait les nourrir. Enfin, il était certain que, si on les mettait simplement en liberté, ces hommes iraient immédiatement grossir les rangs de l’armée que l’on venait de combattre.

Décidé à poursuivre sa marche vers le nord et à combattre l’armée turque dès qu’il la rencontrerait, le général en chef Bonaparte se trouvait, à l’égard de ces prisonniers, dans un cruel embarras.

Il prit une résolution terrible, que ses ennemis lui ont beaucoup reprochée, mais que, pour être équitable, il faut expliquer par les raisons que nous venons d’exposer. Ordre fut donné de passer tous ces prisonniers au fil de la baïonnette (il fallait ménager les cartouches). On les partagea, la veille du départ, entre les demi-brigades. On fit former les carrés, face en dedans, puis on attaqua à la baïonnette ces masses vivantes. On tua tout.

L’armée obéit, mais avec une sorte de dégoût et d’effroi. Cependant elle savait qu’en Égypte il fallait faire guerre à mort. Elle avait vu, dès sa première marche d’Alexandrie au Caire, massacrer sans pitié tous les Français qui, blessés ou non, ne pouvaient suivre. Vivant en Orient, nous avions adopté les mœurs de l’Orient.

Bonaparte mit, dès le lendemain, l’armée en marche vers Saint-Jean-d’Acre (l’ancienne Ptolémaïs). Cette ville, située au pied du Mont-Carmel, était considérée comme la clef de la Syrie. On arriva devant la place le 18 mars. Djezzar-Pacha s’y était enfermé avec toutes ses richesses et une forte garnison. Saint-Jean-d’Acre n’avait que de vieilles fortifications ; personne chez les Français, les Anglais et les Turcs mêmes, ne pensait qu’elle pût résister à une attaque bien conduite ; mais elle ne pouvait être investie et communiquait librement avec la mer. Le commodore anglais Sydney Smith avait abandonné le blocus d’Alexandrie pour