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Au retour, le général Berthier, chef d’état-major de l’armée, me remit des dépêches pour le général Rampon, il me dit qu’elles contenaient l’ordre de quitter la province d’Elfiel.

On me donna, à Gizeh, une petite barque conduite par un Turc, et je partis accompagné d’un soldat intrépide nommé Jourde.

Après avoir fait six lieues, le vent nous manqua. Nous attachâmes la barque au rivage pour ne pas être entraînés par le courant, et nous passâmes ainsi la nuit.

Le jour allait paraître, je veillais. J’aperçus des Bédouins à cheval, mais ils nous avaient aussi découverts et accouraient au galop de leurs chevaux. J’éveillai mon compagnon, et fit détacher la barque pour mettre quelques toises d’eau entre eux et nous. Quand ceci fut lait, ils n’étaient qu’à quelques pas. Nous leur tirâmes nos deux coups de fusil. Ils y répondirent en déchargeant sur nous toutes leurs armes à feu, sans résultat, mais quand ils nous virent hors de leur portée, deux d’entre eux se détachèrent et coururent, en criant, à un village qui était sur le bord du fleuve au-dessous de nous. Je vis des paysans se jeter dans des barques pour nous attaquer au passage. Il n’y avait pas un instant à perdre. Nous fîmes force de rames, avec l’espoir de nous rapprocher de notre flottille qui était mouillée à Gizeh. Nous leur échappâmes, mais un danger plus grand nous attendait encore. Nous aperçûmes, tout à coup, une grande barque remplie de gens armés, dont plusieurs me paraissaient être des mamelucks, elle se détachait du rivage et je croyais reconnaître, parmi eux, deux de ces mêmes Bédouins qui nous avaient attaqués le malin au rivage. Nous serrions la rive opposée, mais cette grosse barque, vigoureusement conduite, nous gagnait de vitesse, et malgré les plus grands efforts, nous désespérions de lui échapper quand le Turc qui conduisait notre bateau, nous dit : « S’il y a assez d’eau pour passer à ce coude (et il nous le montrait) ils ne nous prendront pas. » En effet, nous coupâmes court dans les joncs, souvent dans la vase, et nous gagnâmes ainsi beaucoup sur la grosse barque, qui, tirant plus d’eau, ne put nous suivre par ce chemin.

Nous avions remplacé nos fusils par des avirons, mais nous n’étions pas encore complètement rassurés parce que nous devions passer devant d’autres villages, et les Bédouins pouvaient les avoir prévenus. En effet, nous vîmes accourir des Arabes à bride abattue vers le fleuve. Ils approchèrent et vinrent très près de nous. Nous fîmes feu, un cheval et un cavalier tombèrent. Les autres coururent au blessé ; nous rechargeâmes nos armes, et profitant du moment où ils étaient encore groupés, nous fîmes feu de nouveau. Tous nos coups portèrent. Nous vîmes plusieurs chevaux s’échapper sans cavalier. Ils nous abandonnèrent.