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lentilles, de pain fabriqué avec de la farine de blé, mais toujours mélangée avec de la farine de dourrah, quand il était préparé par les habitans. Ce pain était toujours mal cuit, parce que, faute de bois, on chaude les fours avec de la fiente de buffles, séchée au soleil. Les bœufs d’Europe sont fort rares.

Quelques jours plus tard, on pensa probablement, au Caire, que nous devions vivre sur le pays et les vivres n’arrivèrent plus. Le général Rampon me désigna pour remplir les fonctions de commissaire des guerres et me chargea de faire des réquisitions de vivres dans tous les villages de la province. Il me donna un interprète et, pour escorte, quatre janissaires turcs.

Je me rendis dans un village voisin et je demandai pour la troupe des vivres et des fourrages. Ceux-ci se composaient de paille hachée et d’orge. Le cheik me fit dire, par l’interprète, que puisque j’avais le bonheur d’être son hôte, il ne me serait fait aucun mal ; que si j’avais faim, il me donnerait à manger ; mais que les vivres demandés ne me seraient point fournis. Je pris chez lui une tasse de café et quelques bouffées de tabac. Les paysans persistèrent à ne pas me donner de vivres, et me menacèrent de me couper la tête, si je leur en parlais davantage. Je ne pouvais me fier à mes quatre hommes d’escorte, je les voyais causer amicalement avec les paysans. Je pensais qu’au lieu de me défendre, si j’étais attaqué, ils auraient contribué à m’assommer, ou que tout au moins ils m’auraient abandonné. Je pris le parti de me retirer. Je retournai au camp, et je dis au général que s’il voulait que je fisse des réquisitions dans le pays, il fallait me donner une meilleure escorte. Il n’insista pas et me dit avoir appris que, très probablement, nous serions prochainement attaqués. Quant aux gens qui m’avaient éconduit, on renonça à les punir, quoiqu’ils eussent donné un bien mauvais exemple. Nous étions trop peu nombreux pour cerner ce grand village ou pour nous disperser, en envoyant des détachemens au loin. Nous plaçâmes, au contraire, notre camp de façon à pouvoir nous concentrer et réunir promptement tous nos postes à la première alerte.

Les notables du village que nous occupions (Elfiel) nous dirent qu’il devait y avoir prochainement une foire considérable dans leur pays, que plusieurs tribus arabes s’y rendraient, mais que nous pouvions être tranquilles parce que nous étions chez des amis.

Pendant la nuit, nous vîmes des feux s’allumer dans les villages voisins. Nous eûmes des soupçons et nous nous tînmes sur nos gardes.

Le 8 août, à sept heures du matin, nous aperçûmes beaucoup