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pour rallier l’escadre et pour attendre des convois partis de Marseille, d’Ajaccio et de Civita-Vecchia. Nous fîmes ensuite voile vers la Sicile, que nous côtoyâmes, fort surpris de nous diriger vers l’est, alors que, d’après l’ordre de l’armée, lu à Toulon, nous croyions voguer vers le détroit de Gibraltar pour aller en Angleterre ou dans les colonies anglaises.


Prise de Malte.

La flotte mouilla, le 24 prairial, devant l’Ile de Malte. Elle y trouva le convoi parti de Civita-Vecchia, qui portait une division venant de l’armée d’Italie. Ce convoi eût été certainement enlevé si deux vaisseaux anglais seulement l’avaient rencontré à sa sortie du détroit de Messine.

Le général en chef demanda au grand-maître de l’ordre de Malte qu’il fût permis à l’escadre d’entrer dans le port pour faire de l’eau. Le grand-maître refusa, en alléguant que, d’après les statuts de l’ordre, il n’était pas permis à plus de deux navires d’une même nation de se trouver dans le port en même temps. Les troupes furent alors mises à terre. L’escadre légère protégea le débarquement des convois de Marseille et de Civita-Vecchia, à l’île de Gozo. Nous débarquâmes dans l’île de Malte. La place était très forte, mais elle n’était pas préparée à soutenir un siège. Au bout de trente-six heures, nous étions maîtres de tous les forts et redoutes environnant la ville : la place capitula. Le général Bonaparte déclara, au nom de la république française, l’ordre de Malte aboli. Le grand-maître, Ferdinand de Hompesch, et la plupart des chevaliers furent pensionnés par la France. Ceux qui voulurent prendre du service dans l’armée furent compris dans la formation d’une légion maltaise recrutée dans les troupes de l’ordre. Cette légion reçut plus tard le nom de légion nautique, quand, après la bataille navale d’Aboukir, les marins de l’escadre, qui avaient pu gagner la terre, y furent incorporés. L’armée reçut ainsi un renfort de près de 4,000 hommes.

Le 28 prairial, la flotte et les convois mouillèrent dans le port. Il est vaste, sûr et si profond que le vaisseau-amiral l’Orient, de 120 canons, était amarré au quai, comme une simple chaloupe. Le vaisseau le Mercure, que je montais, demeura six jours en rade comme vaisseau de garde. Pendant ce séjour, en rade de Malte, j’eus le bonheur d’arracher à une mort certaine mon meilleur ami de la 32e, Perossier[1]. Nous étions convenus d’aller à la nage boire de l’eau douce à terre ; celle du bord était détestable. Perossier partit le premier. Ayant encore quelque chose à écrire pour le

  1. Devenu plus tard colonel et père d’un colonel de 1890.