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traverser, de grandes fatigues à supporter, mais que notre expédition porterait le coup de la mort à l’Angleterre ; qu’au retour, chaque soldat recevrait six arpens de terre, etc. Au seul nom des Anglais, les soldats firent éclater leur joie et leur désir de combattre ces éternels ennemis de notre patrie.

Après la revue, le colonel de la 32e me fit appeler. Il me témoigna beaucoup d’amitié et me dit qu’il attendait de ma complaisance que je resterais auprès de lui, en qualité de secrétaire, pour l’aider dans sa correspondance. J’alléguai en vain mon insuffisance, je fus obligé d’accepter cet emploi.

Une grande escadre avait été réunie à Toulon. Elle se composait de quatorze vaisseaux de ligne, d’autant de frégates, de plusieurs corvettes, bricks ou avisos, et d’un très grand nombre de bâtimens de transport. Le 15 mai, je m’embarquai, avec le colonel, sur le vaisseau de 74 canons le Mercure ; mais un vent contraire nous retint en rade jusqu’au 20.

Le but de cette expédition, notre destination, nous étaient complètement inconnus[1].

  1. Le public n’a pas connu, tout d’abord, l’origine et les motifs de l’expédition d’Égypte. Elle fut la conséquence naturelle des brillantes campagnes de 1796 en Italie et de 1797 dans le Tyrol.
    Les éclatans succès de l’armée d’Italie avaient amené la paix de Campo-Formio. La nation était heureuse de la paix, qu’elle attribuait au général Bonaparte ; elle lui en était reconnaissante. Le général rencontrait, dans toutes les classes de la société, de très nombreuses sympathies. Désormais, sa gloire était inséparable de celle de l’armée d’Italie ; il devenait très promptement populaire.
    Désigné pour aller traiter de la paix au congrès de Rastadt, Bonaparte n’avait pas attendu la fin des négociations pour revenir à Paris, et il y était arrivé, incognito, le 5 décembre 1797. Avec une simplicité affectée, il s’était établi modestement dans une petite maison de la rue Chantereine (bientôt rue de la Victoire) qui devint, en quelques jours, le rendez-vous des officiers généraux les plus marquans, y compris le général Moreau, et de tous les hommes politiques du moment. Ceux-ci cherchaient à deviner Bonaparte, et lui étudiait la situation.
    Mais un gouvernement faible est prompt à prendre ombrage de l’influence politique d’un général illustre, quelquefois même du premier général venu.
    Hoche venait de mourir, empoisonné, disait-on. Bonaparte prenait, assez ostensiblement, ses précautions contre un attentat du même genre et se livrait peu. Le 10 décembre 1797, il avait remis au Directoire, dans une séance solennelle, le traité de paix, et déjà Barras, dans sa réponse, invitait le vainqueur de l’Italie à aller bientôt, lui montrant l’Angleterre, cueillir de nouveaux lauriers.
    Quelques jours après, le général Bonaparte était, en effet, nommé général en chef de l’armée d’Angleterre, armée encore assez peu déterminée, puisque, la mer n’étant pas libre, le général en chef proclamait à ses soldats que la droite de cette armée était à Toulon.
    On a dit que Bonaparte avait eu, le premier, l’idée d’une expédition aventureuse en Égypte, qu’il avait rêvé la conquête des Indes anglaises ; que, plus tard, en cherchant à enlever Saint-Jean-d’Acre, il voulait marcher sur Constantinople, par l’Asie-Mineure, et y fonder un empire d’Orient. C’est prêter à un grand homme des idées déraisonnables.
    Depuis le commencement de l’an IV, Magallon, consul de la République au Caire, se