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montrer où je les ai puisées, car elles sont comme les conclusions des mémoires de mon père. Les voici :

On a fait trop de concessions à la légende dans l’histoire des volontaires de 1792, ils n’ont possédé toutes leurs qualités qu’après plusieurs années de guerre. Ainsi, les soldats de 1796, en Italie, s’étaient formés en faisant, pendant quatre ans, la guerre de montagne, dans les Alpes et sur les Pyrénées.

On a admiré, avec raison, les conceptions stratégiques et les inspirations tactiques du général Bonaparte en Italie, son audace et son habileté en Égypte, mais on n’a peut-être pas assez dit que l’un de ses principaux mérites a été d’avoir bien jugé ce que l’on pouvait demander à de pareils soldats. Ceux-ci ont eu, eux, le mérite de l’exécution.

Aujourd’hui que tous les grands états de l’Europe prétendent former d’immenses armées, avec des involontaires, non choisis, qui auront deux ans de garnison, peut-on espérer que l’on obtiendra quelque chose de comparable à l’armée de 1805 ?

Ce qui faisait la supériorité des soldats de ce temps, c’étaient : l’habitude du danger et la confiance qui en résulte ; la résistance à la fatigue et aux intempéries ; la résignation aux privations et aux souffrances, toujours inévitables à la guerre.

Pour faire connaître l’auteur des mémoires dont je vais transcrire ici une partie, il me suffira de copier l’introduction qu’il a lui-même écrite pour son journal de guerre. Je ne saurais trouver un meilleur prologue. P. V. R.


I

J’ai servi mon pays de 1792 à 1837, c’est-à-dire pendant quarante-cinq années. J’ai fait, presque sans interruptions, vingt-deux campagnes, et j’ai pris part à soixante-quatorze combats, dans lesquels j’ai reçu six blessures.

Engagé volontaire le 1er mars 1793, j’étais major (lieutenant-colonel) en 1813 ; chevalier de la légion d’honneur à la fondation de l’ordre, j’étais fait officier en 1811, en Espagne, après une grave blessure. J’ai fourni, on le voit, une longue carrière militaire et j’ai fait successivement la guerre sur les Alpes, en Italie, dans le Tyrol, en Égypte, en Autriche, en Allemagne, en Pologne, en Espagne et malheureusement aussi en France.

Pendant ces voyages incessans, je me suis appliqué à écrire une sorte de journal de mes campagnes. J’ai été assez heureux pour ne pas perdre les notes nombreuses qui avaient été écrites au jour le jour. Beaucoup d’entre elles ont été prises sur les champs de bataille même qu’elles décrivent.

Je ne me suis pas fié aux rapports d’autrui ; je n’ai écrit que ce que j’avais vu moi-même et je me suis appliqué à raconter les choses