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disposant toutes deux d’engins équivalens, la valeur morale du soldat reprend son importance et son influence. Elle doit, comme autrefois, décider de la victoire ou plutôt du succès final de la guerre.

Il peut donc y avoir encore aujourd’hui un certain intérêt à rechercher comment nos pères ont acquis les grandes qualités militaires qui, il y a bientôt un siècle, ont produit leurs éclatans succès.

L’histoire n’expose guère que l’ensemble des opérations et les résultats obtenus ; seuls les mémoires militaires peuvent faire connaître les détails de la tactique, la manière de combattre, et nous donner des indications psychologiques indispensables pour expliquer tant de hauts faits.

Les soldats de la première république étaient, en grande partie, des volontaires, et le livre si intéressant, si consciencieux, de M. Camille Rousset a montré qu’ils n’avaient pas, à l’état inné, toutes les vertus guerrières ; mais ils avaient trouvé, dans les débris de l’armée royale licenciée, d’excellens cadres. L’expérience de la guerre fit le reste.

Le colonel Vigo Roussillon, mon père, a été l’un de ces volontaires. Il a débuté dans un des bataillons de l’Hérault, qui formêrent la 129e, puis le 25 ventôse an IV (17 mars 1795) la 32e demi-brigade, et avec ce corps célèbre il a servi aux armées des Alpes, d’Italie et d’Égypte.

Il a laissé des mémoires militaires, ou plutôt un journal de guerre, qui donne une idée assez exacte de la manière de combattre de notre vaillante infanterie, et qui explique nos brillans succès en Italie et en Égypte.

Ce journal, écrit tout simplement pour la famille, n’était point destiné à la publicité. Les considérations qui précèdent m’ont décidé à en faire paraître des extraits et particulièrement ce qui concerne la campagne d’Égypte.

Convaincu naturellement, plus que personne, de la véracité et de la sincérité de l’auteur, j’ai conservé ses récits dans leur intégrité. Quand il m’a paru nécessaire, pour expliquer les événemens, d’ajouter ou des faits que mon père lui-même m’a racontés, ou d’autres qu’il n’avait pu voir, parce qu’ils dépassaient le cercle étroit du champ de bataille, je l’ai fait dans des notes que j’ai signées de mes initiales P. V. R.

Mon père est mort en 1844, j’avais vingt-trois ans, et j’étais officier. Les récits de ses campagnes ont bercé mon enfance et passionné ma jeunesse. Après quarante-cinq années de services, je me suis fait à mon tour des convictions fondées sur la vieille expérience de mon père, plus encore que sur la mienne. Je vais