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Il n’en faut pas plus, en effet.

Ce n’était point, il faut l’avouer, l’avis des rédacteurs de nos tactiques officielles : on s’empara du peloton, que l’on fit coïncider avec la division de trois cuirassés, mais on s’empressa de le régulariser, de lui donner une forme invariable en le jetant dans le moule des figures géométriques ; et le groupe commode et souple qu’avait entrevu l’amiral Bouët-Willaumez, devenu officiellement « le peloton d’escadre, » se présenta aux yeux des admirateurs des formations rigides sous l’aspect séduisant d’un triangle rectangle isocèle.

Eh bien ! ce n’est pas le peloton de la tactique officielle qu’il nous faut, et si nous acceptons en principe le chiffre de trois cuirassés comme composition normale de notre groupe, coïncidant ainsi avec l’unité administrative appelée division, du moins voulons-nous que, de ces trois navires, seul celui qui portera le chef de groupe soit astreint à se tenir à une distance invariable du vaisseau amiral. Les deux autres, qu’on les laisse faire, qu’on ne leur impose d’autre condition que de ne pas dépasser leur chef de groupe ; que l’on s’en rapporte du soin d’éviter les collisions à l’attention des capitaines ou des officiers de quart ! — Qui donc a jamais vu un abordage entre navires, marchant avec la même vitesse dans la même direction ? Toutes les catastrophes que l’on peut citer, aussi bien celles de la Reine Blanche et du Forfait que celles du Grosser Kurfürst et de l’Irondake, furent amenées par des évolutions, où le souci d’observer des règles trop compliquées paralysait le sens marin des capitaines.

D’ailleurs, peu à peu, dans ce groupe irrégulier, une sorte d’ordre instinctif se manifestera : le jour, on resserrera les distances, on s’habituera à côtoyer le chef de division, à former avec lui une sorte déniasse compacte dont l’utilisation se trouvera aisément, le jour du combat : jeu dangereux, dira-t-on : non pas ! Mais entraînement progressif, involontaire même ; et surtout exercice excellent, plus propre à former le coup d’œil des officiers, à leur souffler la hardiesse, que toutes les évolutions de la tactique officielle.

La nuit, au contraire, on s’écartera un peu du chef de groupe, pour tenir compte de la difficulté d’apprécier exactement les distances, et ce chef de groupe, en dernière analyse, restera le maître d’inviter un téméraire à augmenter sa distance ou un pusillanime à la diminuer.

Que devient la ligne de file ainsi formée par groupes, au lieu de l’être par navires ? — Supposons que le commandant en chef signale à ses lieutenans que l’intervalle entre chaque chef de groupe sera de 2 encablures ou 400 mètres : les quatre groupes