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eaux de son matelot d’avant, viendra tourner au point même où celui-ci aura tourné.

Mais, objectera-t-on, si nous adoptons la ligne de file comme formation de marche normale, nous retombons dans les inconvéniens qu’on lui avait reconnus pour une action imprévue : sans doute nos vaisseaux marchent mieux qu’autrefois et manœuvrent plus librement ; mais l’ennemi va vite, lui aussi, et ses cuirassés évoluent aussi bien que les nôtres… S’il se présente inopinément, le commandant en chef aura-t-il le temps de rompre l’ordre de marche et d’amener à la hauteur de sa tête de colonne ses derniers navires, restés en arrière de près de 4,000 mètres, avant que le combat s’engage ? Ne sera-t-il pas, en un mot, surpris en flagrant délit de manœuvre ?

Nous pourrions répondre que ces justes observations prouvent seulement la nécessité de disposer autour de l’armée navale, et à bonne distance, un réseau d’éclaireurs dont les mailles restent assez serrées pour qu’une surprise de ce genre soit toujours déjouée ; mais nous ne sommes pas obligés d’adopter expressément la ligne de file et nous faisions allusion tout à l’heure à une formation dérivée de cet ordre primordial, formation qui nous assurera les avantages de la ligne de file et qui en fera disparaître le plus grave, le seul inconvénient même, la longueur.

Cette formation, c’est l’ordre de file par pelotons, disons mieux, par groupes.

Le peloton n’est pas nouveau dans nos escadres : en 1855 déjà, il était préconisé en ces termes par l’amiral Bouët-Willaumez, qui en faisait la base d’un ordre de front maniable et peu étendu :

« Dans cet ordre, les vaisseaux des chefs d’escadre, — ou des chefs de division, — seuls doivent se tenir à la hauteur du commandant en chef, en observant de maintenir les intervalles convenables entre eux ; les autres vaisseaux naviguent « pelotonnés, » c’est-à-dire sans ordre, autour de leurs chefs respectifs, qu’ils ont soin de ne pas dépasser, toutefois. — L’ordre de front en pelotons, n’astreignant que les chefs d’escadre à observer leur alignement, rend la marche d’une flotte plus libre, et par suite moins pesante. »

Ainsi, il y a trente-cinq ans, l’éminent officier général, plus heureusement inspiré peut-être dans ce seul paragraphe que dans toute la suite de son étude sur la tactique d’une flotte à vapeur, reconnaissait l’avantage de revenir au groupe primitif, auquel il donnait le nom de peloton, et se contentait fort judicieusement, pour maintenir son ordre, d’en fixer le linéament essentiel en donnant un poste déterminé à chacun des chefs de groupe.