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comte de Grasse faisait dire à l’Astrée, par sa découverte, le cotre le Clairvoyant, de donner la remorque au vaisseau le Zélé, qu’un abordage avait démâté de son beaupré et de son petit mât d’hune la nuit précédente, et de le conduire à la Guadeloupe, dont l’armée navale n’était séparée que par quelques heures de marche ; peu de temps après, trop préoccupé du sort de ce vaisseau, que la vaillante frégate traînait cependant avec une vitesse de six nœuds, le général français engageait mal à propos, pour le couvrir, la bataille décisive des Saintes.

Il est clair que, pour s’acquitter de telles missions, il fallait des navires d’un assez fort tonnage et qu’on ne pouvait songer à faire remorquer la pesante masse d’un trois-ponts par un frêle aviso. De là la nécessité des frégates ; de là, aujourd’hui, celle des croiseurs de 4,000 à 5,000 tonnes, car je n’en voudrais pas de plus lourds, ne sachant plus s’ils sont croiseurs ou bâtimens de ligne. Un croiseur de la taille du Sfax ou du Jean-Bart suffit à remorquer un de nos cuirassés avec une vitesse très convenable.

Pendant le combat, le rôle de ces frégates, à la fois agiles et robustes, devenait souvent périlleux : pour retirer du feu un vaisseau compromis, il fallait braver les gros calibres de ses adversaires et manœuvrer sous la mitraille qui fauchait l’équipage, avec autant de précision que dans nos rades. Les exemples de ces beaux coups de manœuvre, qui arrachaient des cris d’admiration à nos ennemis eux-mêmes, ne manquent pas, Dieu merci, dans les fastes de notre marine.

Dans cette journée du 12 avril 1782, la seule qui ne se soit pas, dans cinq années de guerre maritime, terminée par le succès de nos armes, la frégate française le Richmond, commandée par M. de Mortemart, avait réussi, malgré la faiblesse de la brise, à se placer sur l’avant du Glorieux, rasé de tous ses mâts, et à lui faire passer un grelin de remorque. Déjà le Glorieux s’éloignait de la mêlée, lorsque plusieurs vaisseaux anglais accoururent pour reprendre leur proie. — Entouré de tous côtés, le lieutenant de vaisseau Trogoff de Kerlessi, qui succédait au capitaine, comte des Cars, tué au début de l’action, ordonna de couper le câble qui le retenait au Richmond. Ce généreux officier refusait d’entraîner la frégate dans la ruine du Glorieux.

Treize ans plus tard, le 11 juillet 1795, pendant le combat en retraite que les quatorze vaisseaux du contre-amiral Martin soutenaient, en vue du cap Roux (Provence), contre les vingt-trois de Hotham, notre serre-file l’Alcide, accablé par l’avant-garde anglaise et rapidement dégréé, allait rester aux mains de l’ennemi, lorsque le brave Hubert, commandant la frégate l’Alceste, vint, en