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120 tonnes ; c’est ainsi qu’obligé de renoncer à son invisibilité, il s’efforçait du moins de protéger ses organes essentiels en augmentant l’épaisseur de ses tôles, en se cuirassant, lui, le contempteur des cuirassés ! C’est ainsi qu’il essayait de se défendre contre les navires similaires, devenus des contre-torpilleurs, en surchargeant ses œuvres mortes de canons à tir rapide, en reniant son principe, en se résignant à la pluralité des moyens d’action !

Mais, par un singulier retour, son rôle grandissait d’une manière inattendue : les chefs d’escadre découvraient peu à peu dans cet engin dédaigné une estafette fort commode, un explorateur capable de pénétrer dans les recoins d’une côte ennemie, une agile et rapide « découverte, » comme disaient nos pères, dans une langue plus pittoresque, plus expressive que la nôtre.

A la fin de l’ancienne monarchie, à une époque qui marque l’apogée de la science des guerres maritimes, on avait senti l’avantage d’attacher aux croiseurs d’une armée navale, à titre d’éclaireurs auxiliaires, des navires de très faible échantillon, bons marins cependant et fins voiliers.

« La Danaé, dit M. de Rosily, qui commandait le lougre le Coureur, en 1778, la Danaé apercevait des bâtimens de la tête de ses mâts, me faisait le signal de chasse, et je les joignais avec une vitesse incroyable. » — N’est-ce pas l’exacte définition du rôle du torpilleur éclaireur ?

Un peu plus tard, lorsque la flotte du comte d’Orvilliers allait prendre la mer, un de ses croiseurs, la frégate la Belle-Poule, sous la Clocheterie, chargée d’éclairer les atterrages d’Ouessant, rencontra l’Arethusa, croiseur de l’amiral Keppel.

Chacune des deux frégates avait une découverte ; la Belle-Poule s’était fait précéder de notre lougre le Coureur, et l’Arethusa avait dépêché à la rencontre des Français un beau cutter, l’Alert. — Les deux petits navires se livrèrent, en même temps que les grands, un combat acharné : au bout de deux heures d’une canonnade à bout portant, le Coureur cédait la victoire à l’Alert, dont l’échantillon était beaucoup plus fort et l’artillerie plus puissante ; mais, en se sacrifiant dans cette lutte inégale, M. de Rosily avait empêché son adversaire de joindre son feu à celui de l’Arethusa ; il avait donc contribué au succès de la Belle-Poule.

Éclairer au loin l’armée navale, répéter les signaux du commandant en chef, transmettre au besoin ses ordres verbaux aux différentes unités de combat, n’étaient pas les seules tâches des bâtimens légers de nos anciennes flottes.

Lorsqu’une avarie grave désemparait un vaisseau de ligne, c’était aux frégates de lui porter secours. Le matin du 12 avril 1782, le