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cette armée navale, qui semble vraiment constituée pour la guerre, on voit des torpilleurs de haute mer jouer, et sans doute avec succès, comme l’a fait notre Coureur dans les manœuvres du mois de juillet, le rôle d’explorateur au large, en attendant que la mêlée du combat naval leur fournisse l’occasion de lancer leurs torpilles.

L’exemple est bon à retenir pour qui manque d’éclaireurs en titre et nous le noterons d’autant plus volontiers qu’il met en bonne lumière la transformation de ce matériel nouveau, créé, il y a quelque douze ou quinze ans, avec le dessein arrêté d’exalter jusqu’au paroxysme les facultés destructives d’une seule arme, la torpille automobile.

Spécialisation des engins ! — Qui ne se rappelle avoir entendu des voix éloquentes proclamer ce principe avec une rigueur absolue et l’imposer à la marine comme le corollaire du principe industriel de la division du travail.

Ce n’était pas la première fois que cette idée s’insinuait dans les esprits : n’avait-on pas, dans la guerre de sécession, vu surgir un navire qui n’employait d’autre arme qu’un canon de gros calibre, le Monitor ? — Plus tard, sous l’impression des hauts faits du Merrimac et de l’Arkansas, les Anglais ne s’étaient-ils pas engoués d’un projet de ram, de bélier, qui ne devait demander qu’au choc la destruction de ses adversaires ?

Mais l’esprit pratique de nos voisins ne devait pas tarder à sentir que c’était là créer un capital trop souvent indisponible et qu’il y avait pur gaspillage à laisser perdre pour l’artillerie le grand déplacement nécessaire pour donner au choc toute sa raideur, à l’éperon toute sa puissance. Le raisonnement inverse conduisait à doter le Monitor d’un éperon, et bientôt ces deux types, heureusement combinés, donnaient naissance à notre garde-côtes actuel.

La spécialisation de l’arme… certes elle est utile, indispensable même en certains cas, mais à l’expresse condition que l’on consente à limiter l’emploi, à réduire surtout la zone d’action de l’engin.

Assurément, pour combattre en eau calme, à l’abri des côtes, le microbe pouvait suffire, mais si l’on voulait donner à la torpille automobile, dans les combats du large, la place que méritait sa puissance, il fallait décupler les dimensions du véhicule qui devait l’amener à bonne portée de son adversaire.

Nous y arrivons aujourd’hui, mais non sans lutte, non sans avoir longtemps marchandé, sans avoir franchi des étapes où l’on croyait toujours se fixer : c’est ainsi que le torpilleur passait de 15 tonnes à 30, puis à 50 ; et de là, après une pause, à 100, à