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Supposons, en conséquence, que, jugeant sa marine en état de prendre une offensive vigoureuse, le gouvernement ait donné au chef de son armée navale la mission « d’attaquer et de détruire l’armée principale de l’ennemi, » suivant le principe essentiel de la stratégie navale.

On se préoccupera tout d’abord de donner à cette flotte une vitesse moyenne convenable, basée en général sur celle que l’on attribue à l’escadre ennemie, et l’on n’hésitera pas à éliminer les unités de combat qui, trop lentes, trop lourdes, n’apporteraient quelque surcroît de puissance à notre armée qu’en lui faisant perdre l’avantage de la mobilité… Que l’on m’excuse ici de ne rien préciser : les applications seraient faciles, mais dans une étude qui n’a qu’une portée didactique, nous les devons éviter.

Fixons à 12 cuirassés, pourvus d’une vitesse de 14 nœuds, la force du corps de bataille de la flotte que nous considérons : c’est là l’escadre type, celle qui sert de base à la plupart des études théoriques sur la tactique navale, et c’est à dessein que nous la choisissons.

À ce corps de bataille, lourds bataillons, massive artillerie, il faut de la cavalerie, il faut des éclaireurs, d’autant plus nombreux que l’aire explorée doit être plus étendue pour éviter toute surprise, d’autant plus rapides que la vitesse du gros de l’escadre est plus grande et qu’un intervalle plus court séparera le moment où l’ennemi sera signalé de celui où le feu s’ouvrira.

La proportion des éclaireurs dans les escadres modernes ne cesse, en effet, de s’accroître avec la puissance, la vitesse, et aussi le prix de revient des unités de combat. — Nous ne dépassons guère, cependant, les proportions fixées par les sages ordonnances de 1786, qui constituaient dans chacun de nos ports de guerre une ou deux escadres prêtes à entrer en armement : les escadres 6 et 7, à Toulon, comptaient 13 frégates ou corvettes pour 9 vaisseaux de ligne, et nous verrons plus loin que l’on adjoignait aux frégates des navires légers, lougres, cutters, felouques, qui ne figuraient pas dans « l’ordre de bataille. » — Chaque vaisseau avait ainsi deux éclaireurs.

Ces proportions, qui paraîtraient encore fort acceptables, aujourd’hui, ont été consacrées par les grandes manœuvres de la flotte anglaise, pendant l’été dernier : l’amirauté n’a même pu donner deux éclaireurs à chacun de ses cuirassés qu’en évaluant avec une complaisance extrême la vitesse de certains de ses croiseurs.

L’Italie n’a pu arriver au même résultat dans la formation de son escadre actuelle d’évolutions qu’en réduisant le corps de bataille à six cuirassés, à la vérité les plus forts qui existent. — Dans