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rôti sur un plat. Bertrand le prit, le plaça devant la religieuse, et, s’excusant d’avoir si mal accueilli ses gentillesses, lui versa du vin clair et se mit à la servir comme un page soumis et gracieux. Attendrie par cette métamorphose, sa mère le traita mieux à partir de ce jour, mais son père continua à le considérer comme un rustre et un porte-malheur.

À dix-sept ans, Du Guesclin était homme fait, musculeux et solidement bâti. Taille moyenne, peau brune, nez camard, yeux gris clair, larges épaules, bras longs et mains petites. Quand éclata la guerre pour la succession du duché de Bretagne, Du Guesclin prit parti pour Charles de Blois, qui rendait hommage au roi de France, contre Simon de Montfort, qui reconnaissait le roi d’Angleterre. À partir de ce moment, sa vie fut une série ininterrompue d’aventures : sièges de châteaux et de villes, assauts, embuscades, batailles rangées, attaques nocturnes. Il se fit une petite armée, et bientôt le cri de : « Guesclin ! » fut redouté dans toute la Bretagne.

Cependant le dauphin de France et les états-généraux avaient refusé de ratifier le traité désastreux par lequel le roi Jean, prisonnier à Londres, cédait aux Anglais les deux tiers de la France. Là-dessus Édouard III envoya le duc de Lancastre envahir de nouveau la Bretagne. Du Guesclin fut chargé de la défense de Dinan. Un épisode de ce siège peint au vif les mœurs et le caractère de Du Guesclin. Pendant une suspension d’armes, Olivier, frère cadet de Bertrand, alla prendre le frais hors la ville. Un chevalier anglais de beaucoup de morgue, Thomas Cantorbéry, se jeta sur lui avec quatre écuyers et le fit prisonnier malgré la trêve des deux armées. Aussitôt Du Guesclin monte à cheval et court au camp anglais. Il trouve le duc de Lancastre jouant aux échecs avec le célèbre Jean Chandos, en présence du comte de Montfort, de Robert Knolles, fameux chef des grandes compagnies, et d’autres seigneurs anglais. Le chevalier breton met respectueusement un genou en terre. Le duc le relève et lui offre du vin. Mais Bertrand demande justice. On appelle Thomas, qui froidement jette son gant devant Du Guesclin. Celui-ci le ramasse et dit : « Faux chevalier ! Traître ! je vous ferai avouer devant tous les seigneurs ou à honte mourrai. » Le duel eut lieu dans Dinan même, sur la place du marché, en présence du duc de Lancastre venu avec escorte et reçu en hôte dans la ville qu’il assiégeait. Penhoët, gouverneur de Dinan, fut le gardien du champ. Du Guesclin parut à cheval, bardé, ganté de fer, bassinet en tête, lance au poing. Sir Robert Knolles, prévoyant que le combat serait terrible, voulut proposer un accommodement pour son ami. Mais Bertrand répondit avec indignation : « J’ai Dieu et