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firent immédiatement. Mais le chef de saint Hildevert, au lieu de se consumer, s’éleva lentement au-dessus des flammes et alla se poser sur les genoux de la femme du chef norvégien. Celle-ci le prit pieusement entre ses mains et le rendit aux moines, ce que voyant, Hauk se convertit. — Cette légende symbolise, sous une forme naïve, une vérité historique et morale, à savoir que les femmes servirent d’intermédiaire entre la nouvelle religion et les barbares. Le christianisme trouva un écho dans la mansuétude de leur cœur, s’insinua par elles dans ces âmes farouches.

Cent ans avaient donc suffi pour réaliser la prédiction du prieur de Saint-Michel. Le descendant des Vikings, le pirate Rollon, fut un de ceux qui aidèrent à élever la basilique du Mont par ses riches dotations, et la grosse cloche de l’abbaye, celle qu’on sonnait en cas d’alarme, prit le nom de cloche Rollon.


III. — ÉPOQUE CHEVALERESQUE, LA LUTTE AVEC L’ANGLETERRE, DU GUESCLIN LE CHEVALIER DE LA FRANCE.

Valmiki, Homère, Virgile, le Tasse, tous les grands poètes épiques, nous représentent les dieux invisibles combattant au-dessus de leurs héros. À cette conception répond, dans la tragédie d’Eschyle et de Sophocle, le chœur qui ressemble souvent à la voix du destin ou à l’œil des dieux fixé sur le drame humain. Dans la pensée de ces grands poètes qui furent de grands intuitifs et de grands initiés, cette conception est plus qu’un jeu de l’imagination, c’est la représentation poétique d’une vérité spirituelle, qui, pour être occulte et insaisissable, n’en est que plus profonde et plus active. Au-dessus et au fond de toutes les batailles humaines, il y a des idées éternelles, concepts vivant d’une vie propre, véritables puissances morales en lutte. Du triomphe des unes ou des autres dépendent souvent les destinées de l’humanité. Quand l’épée de saint Michel eut dispersé les corbeaux d’Odin et repoussé le croissant de Mahomet, un nouveau type de l’homme émergea lentement du sombre et sinistre chaos féodal. Il apparut brillant dans son armure claire, sur son coursier blasonné et fleurdelisé, le pennon droit dans sa main, si haut et si pur qu’il en était presque inaccessible. Ce nouvel idéal était le chevalier.

Le héros antique mourait pour sa cité, le barbare pour son indépendance. Produit des races du Nord fécondées par le christianisme, le chevalier combat pour sa foi, c’est-à-dire pour un idéal humain et universel, pour un but qui dépasse sa vie terrestre et nationale. Qu’il porte les couleurs de sa dame, la devise de son roi ou le signe du Christ sur sa poitrine, toujours il se bat pour des