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d’archanges ou d’Élohim, représentant les forces hiérarchisées de l’Être éternel agissant dans l’univers. Les Ischim ou âmes glorifiées en formaient la catégorie inférieure. Le voyant de Patmos, l’auteur de l’Apocalypse, où tout a un sens symbolique transcendant, personnifia cette catégorie d’esprits dans Mikaël, chef des armées célestes, qui précipite en enfer et lie le dragon, symbole de la matière inférieure et du mal. Mikaël délivre la Femme, revêtue du soleil, poursuivie par le dragon. Celle-ci, après sa délivrance, se sent pousser des ailes d’aigle et gagne les hauteurs de l’empyrée, image de l’Ame humaine, dont les forces sont centuplées par l’Intuition reconquise[1].

Il est intéressant de constater que la figure de l’archange vengeur, qui symbolisait déjà la justice divine, pour les mages de la Perse et de la Chaldée comme pour les prophètes d’Israël, reparaît périodiquement dans le rêve d’obscurs voyans, aux époques qui précèdent de très grandes luttes religieuses. La science contemporaine voit dans de tels faits de simples hallucinations provenant des idées régnantes d’une époque. Les philosophes de l’école d’Alexandrie disaient que les inspirations qui viennent à l’homme du monde spirituel lui arrivent quelquefois sous forme de visions et revêtent ordinairement la figure la plus familière à l’imagination d’une époque. Ainsi, un Grec verra l’Apollon delphien, et un chrétien, dans des circonstances et un état psychique analogues, verra l’archange Michel. Ces inspirations seraient donc de véritables suggestions prophétiques.

Quand le visionnaire de Patmos vit se dresser devant son esprit la figure de Mikaël, c’était peu avant la grande lutte du christianisme avec Rome. Au IVe siècle, l’évêque de Siponte vit en songe saint Michel, qui lui ordonna de lui construire un sanctuaire au mont Gargano ; c’était peu avant les grandes invasions des barbares, qui devaient à leur tour être vaincus et conquis par le christianisme. Au commencement du VIIIe siècle, l’évêque d’Avranches est troublé par la même apparition, qui lui commande d’élever un sanctuaire au Mons Tumba, ce que le pieux évêque fait presque malgré lui. Le fait prend sa vraie signification, si l’on considère qu’il eut lieu vingt ans après la bataille de Testri (687), qui marque la défaite de la dynastie mérovingienne, et vingt-cinq ans avant la bataille de Poitiers (732), où Karl Martel défit les Sarrasins, bataille qui marque le commencement de la dynastie carolingienne

  1. Apocalypse, ch. XII.