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funèbre, voilà ce que les sènes implacables accordaient à leur sœur maudite et condamnée. Libre au vainqueur d’effeuiller sa couronne de verveine, d’arracher tout ce qu’il pouvait au cœur de la druidesse domptée par l’amour et vouée au suicide ou au supplice. Plein de stupeur et d’un effroi sacré, il contemplait cette fiancée muette, assise au bord de sa tombe, grâce redoutable, amère volupté que lui accordait Koridwen, la déesse de la nuit. Dans quel abandonnement de tout son être et de sa couronne défaite, il la voyait choir jusqu’au fond de l’abîme, d’où elle rebondissait avec des étonnemens, des joies, des sursauts et les affolemens de la mort imminente. Ah ! les guirlandes d’églantine effeuillées dans la grotte basse, mouillée des flots, les longues étreintes, les baisers, les murmures entrecoupés par le battement rythmique de la vague. Souvent elle l’interrompait au milieu des plus fous transports : « Tais-toi, disait-elle, et laisse-moi écouter… Je sais ce que murmure la pointe des arbres et quels sont les divins souffles qui parlent dans les troncs. Je veux te dire ce que m’ont dit de toi les génies, pendant que je dormais là-bas, dans la forêt, sous les bouleaux, où gémissent les harpes suspendues dans les branches. » Et elle disposait par terre toutes sortes de rameaux d’arbres noués avec des feuilles de chênes. Elle formait ainsi les rines ou les lettres magiques. Et, d’après ces signes amoureusement entrelacés, elle prédisait au chef les jours, les batailles, la destinée inévitable, le trépas heureux et prompt ou la dure vieillesse et l’esclavage abhorré. La nuit, avec de grands frissons, elle s’échappait de ses bras et courait au sommet de l’îlot inondé de la clarté lunaire. Là, avec des gestes austères et chastes, elle invoquait pour lui les grands ancêtres des Gaëls et des Kimris, Ogham, Gwyd et Teudad. Puis, excitée par l’odeur de la verveine froissée, elle entrait en délire. Alors, le Gaulois accroupi sur la roche sentait avec épouvante et stupeur que le monde des ombres lui disputait déjà cette femme qu’il pressait tout à l’heure dans ses bras chauds et puissans. Car tandis que le nimbe lunaire semblait descendre, sur l’île et qu’une brume l’enveloppait, il comprenait aux mouvemens de la druidesse, à ses cris d’effroi, à ses interjections suppliantes qu’elle s’entretenait avec des fantômes invisibles pour lui, mais que les yeux grands ouverts de la sène voyaient glisser dans la brume. Ah ! Koridwen se vengeait, lui reprenait sa proie ! Fou de désir, d’inquiétude, de compassion, il arrachait la prophétesse à son délire et l’entraînait dans la grotte profonde. Là, sur le lit de feuilles de chêne frais et de bouleau parfumé, après les larmes délicieuses, lentement versées et longuement bues, elle l’étonnait bien davantage, en lui confiant les grands secrets de la sagesse