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extérieur qui protège le Mont. On le suit sur une passerelle et on pénètre dans la forteresse par une porte à mâchicoulis. Dès l’entrée, la vieille histoire de France nous saisit. Elle ne nous lâchera plus, pour nous conduire, pas à pas, jusqu’aux temps modernes. Dans la première cour, au-dessus d’une porte à herse de fer, un lion de pierre pose sa griffe sur l’écusson abbatial où des saumons nagent sur fond ondé. Cette porte mérite son nom de porte du roi. Ce lion figure bien la royauté en France ; car ses débuts, son apogée et son déclin ont suivi d’assez près la naissance, la splendeur et la décadence du Mont-Saint-Michel. La porte des Michelettes tient son nom de deux pièces de canon abandonnées par les Anglais dans le siège fameux du XVe siècle. Nous voici dans l’unique rue de la ville qui se déroule en spirale sur le flanc de la montagne et gagne l’abbaye par des escaliers en rampe. Après maints degrés et détours, nous voici dans la salle des gardes. Ses fiers arceaux, sa voûte spacieuse, nous transportent en plein monde féodal, religieux et guerrier. Par cette fenêtre gothique à trèfles, les archers du seigneur d’Estouteville guettaient, sous Charles VII, les mouvemens de l’armée anglaise, et, la flèche sur l’arbalète, attendaient l’assaut. La façade romane de la basilique évoque devant nous les Normands convertis au christianisme, exprimant d’abord leur génie solide et mesuré en architecture. Le tympan du portail nous ramène jusqu’aux temps mérovingiens, à la fondation du sanctuaire au seuil duquel nous nous trouvons. Ce tympan, d’un caractère archaïque et naïf, représente saint Michel apparaissant à saint Hubert endormi, au moment où l’archange lui enfonce son doigt dans le crâne et lui commande d’élever une église sur le rocher païen. L’intérieur de la basilique est triste. Les échafaudages d’une restauration commencée et interrompue masquent la beauté des nefs, la hardiesse des piliers. Le chœur grandiose, en style ogival, ne diminue pas cette impression de ruine et d’abandon. Malgré les bannières de pèlerinages qui l’entourent, la statue de saint Michel dans le croisillon du transept a plutôt l’air de pleurer sur la décadence de son culte que de terrasser son dragon. Ce n’est qu’une pâle effigie du saint Michel qui vivait autrefois dans les imaginations et armait des milliers de bras pour la croisade ou pour la guerre contre l’Anglais.

Il faut monter par l’escalier à vis du clocher et gagner la plate-forme extérieure sur le toit plombé d’une nef latérale, si l’on veut retrouver la mystique envolée que donne le gothique flamboyant et la pensée apocalyptique qui inspira les constructeurs du merveilleux édifice. De cette terrasse, qui fait le tour de la grande nef sur la toiture des bas côtés, on jouit d’un superbe coup d’œil sur la baie de