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liturgie ; mais la tendance était déjà de ce côté. Beaucoup d’hommes pieux auraient voulu dès lors que le sacrifice lût aboli et remplacé par la louange (toda). En tout cas, le mizmor, chanté sur une des variétés de la lyre ou de la guitare (nébel, cinnor, negina), était la manière de parler à Dieu, de s’entretenir avec lui. Nous verrons bientôt Ézéchias prier sous cette forme. C’est dans la génération suivante que le mizmor produira ses chefs-d’œuvre. Il fleurit pourtant dès le temps où nous sommes. Deux ou trois fois, nous voyons Isaïe s’exprimer sur le ton d’un psalmiste accompli[1].

Ainsi fut inauguré le psaume, cette création littéraire la plus belle peut-être et certainement la plus féconde du génie d’Israël. La prière antique, accompagnée de danses et de cris pour attirer l’attention du dieu, était rejetée parmi les ridicules naïvetés d’un âge grossier. La prière du cœur venait de naître. Le piétisme sobre et ferme des anavim montra ici sa haute originalité. D’un genre froidement patriotique et solennellement officiel, il fit l’hymne pur ; d’un bruit confus, il fit une lyre décacorde, se prêtant à toutes les effusions subjectives de l’âme meurtrie par les duretés de la vie. L’homme pieux eut, dès lors, une consolation, un alibi au milieu de ses troubles, une chapelle intime où il put avoir des dialogues secrets avec son créateur bienveillant. Avant de se montrer dur pour ces rêves du passé, il faudra se rappeler le parti merveilleux que l’Église sut tirer du chant des Psaumes, supputer les âmes tendres et bonnes que la harpe d’Israël a consolées.

Commença-t-on, dès l’époque d’Ézéchias, à grouper en un recueil les pièces lyriques que l’on possédait d’époques plus anciennes ? Cela serait conforme à l’esprit du temps ; l’académie d’Ézéchias aurait trouvé là un emploi bien naturel de son activité. Mais un tel recueil, s’il avait été fait, nous serait arrivé, en paquet ficelé à part, dans la collection générale des Psaumes, ainsi que la chose eut lieu pour les Proverbes. Or aucun des cinq livres qui composent aujourd’hui le livre des Psaumes ne saurait être la collection qui aurait été ainsi formée sous Ézéchias.

Le mot de « siècle d’Ézéchias » ne serait pas déplacé pour désigner ce remarquable ensemble littéraire que produit le génie hébreu vers la fin du VIIIe siècle et le commencement du VIIe siècle avant Jésus-Christ. L’usage, dérouté par les fausses idées chronologiques de la critique orthodoxe, ne l’a pas adopté. Une telle expression supposerait, d’ailleurs, dans ce petit monde palestinien, une ampleur de vie que la Grèce, l’Italie, l’Europe moderne ont seules connues. De grosses lacunes empêchaient le cadre de la

  1. Isaïe, XII, 1 et suiv., 4 et suiv.