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beaucoup d’honneur à l’Eternel ; les objections du Satan contre l’œuvre de Dieu sont essentiellement déplacées ; mais des milliards de siècles sont probablement nécessaires pour que le Dieu juste soit une réalité. Attendons.

Le travail qui s’accomplit sous le règne d’Ézéchias consista en grande partie, nous l’avons vu, à sauver du naufrage du royaume d’Israël les textes hébreux écrits dans le Nord. Le livre de Job fut-il du nombre de ces écrits, et la liberté d’esprit qu’on y remarque fut-elle un fruit de l’air plus libre qu’on respirait dans les tribus restées près de la vie nomade ? Cela est possible assurément. Un autre ouvrage, toutefois, dont l’origine israélite peut être plus certainement affirmée, c’est le Cantique des Cantiques. Ce joli poème fut sûrement conçu dans le Nord. L’opposition de Jérusalem et de Thirza, capitale du royaume d’Israël avant Samarie, et aussi le rôle presque ridicule qu’y joue Salomon, suffiraient pour le prouver. Dans les mariages, il était d’usage de réciter et de chanter des scènes d’amour dialoguées, dont le thème, varié en épisodes divers, roulait toujours sur le même sujet : une jeune bergère du Nord, enlevée par les pourvoyeurs du harem de Salomon, reste fidèle à son amant, malgré les séductions de la cour. Toutes les scènes qui servent à rendre cette idée unique se terminaient par le même tableau, la jeune fille endormie dans les bras de son amant. Cela se savait par cœur ; le plan de l’œuvre étant très lâche et la prosodie de tels morceaux n’ayant rien de fixe, on pouvait se permettre les changemens que l’on voulait, ainsi que font les improvisateurs italiens. Après la destruction du royaume d’Israël, la perte d’un tel morceau était tout à fait à craindre. Nous admettons volontiers que le Sir hassirim fut écrit d’abord par les lettrés d’Ézéchias, sans être sûrs que le texte tout à fait délectueux qui est venu jusqu’à nous, soit celui qui fut alors fixé par le kalam.

Un genre qui fut, au contraire, l’œuvre propre de Jérusalem, commença de se développer richement sous Ézéchias. Le sir ou cantique était vieux comme les peuples sémitiques eux-mêmes ; mais les anciens âges, peu mystiques, avaient tout à fait ignoré les raffinemens qu’on pouvait porter dans les modulations du sentiment. Vers le temps d’Ézéchias, le sir se diversifie à l’infini. Ce n’est plus, comme autrefois, l’écho poétique d’un fait extérieur ; c’est la méditation de l’âme sur la situation que lui créent les injustices des hommes et ses propres défaillances. Le sir se rapprochait ainsi du masul, et quelquefois il était difficile de discerner entre l’un et l’autre. Le petit poème de ce genre s’appelait mizmor. La musique en était l’accompagnement ordinaire. Il est douteux qu’au temps d’Ézéchias, le mizmor eût un emploi dans la