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cette royauté éprouvée, et jugeant la situation avec la supériorité, avec la clairvoyance d’un homme d’état, il n’hésitait pas. Il se décidait aussitôt à s’effacer ; il était le premier à conseiller à la nouvelle régente d’appeler au pouvoir d’autres hommes, les chefs de l’opposition libérale, M. Sagasta en tête. Il ne se bornait pas à donner ce conseil à la reine Marie-Christine, il promettait l’appui le plus désintéressé au ministère formé dans ce moment de crise avec la mission d’assurer à la monarchie la garantie d’une trêve bienfaisante des partis. C’est ce ministère qui a duré cinq ans, qui s’est, à la vérité, renouvelé plus d’une fois dans l’intervalle, mais dont M. Mateo Sagasta n’a cessé un instant d’être le chef. M. Sagasta a réussi à se soutenir à travers tout depuis cinq ans, d’abord, sans doute, par son habileté à dénouer ou à éluder les difficultés, à user ou à émousser les dissentimens, à rallier autour de lui les libéraux de toutes les nuances, depuis les constitutionnels jusqu’aux républicains modérés. Il a vécu aussi, il faut le dire, par un concours de circonstances singulièrement favorables, parce qu’il a trouvé dans la reine régente la plus scrupuleuse et la plus confiante loyauté, parce que les conservateurs, sans abdiquer leur politique et leur indépendance, ont évité le plus qu’ils l’ont pu de lui susciter des embarras. M. Sagasta est un vieux tacticien temporisateur et adroit qui a su profiter de tout ; il est arrivé ainsi à s’assurer une longue carrière ministérielle pendant laquelle il a pu réaliser sans se presser, avec mesure, quelques-unes des réformes libérales qu’il avait inscrites dans son programme, jusqu’à cette réforme électorale, qu’il vient de faire voter et qui rétablit le suffrage universel en Espagne. M. Sagasta, cela n’est pas douteux, a rendu les plus sérieux services à son pays. Il a su ménager la transition de règne, en atténuant avec art les dangers d’une minorité qui s’ouvrait dans les conditions les plus exceptionnelles et les plus épineuses. Il a en quelque sorte ouvert une voie nouvelle où les esprits ont pu se calmer et reprendre confiance, où une princesse appelée à la régence d’une façon si cruelle a pu se populariser rapidement par sa droiture, par sa sage conduite, par la loyauté de ses rapports avec tous les partis. Il a contribué à prouver une fois de plus qu’avec la monarchie, même avec une monarchie si éprouvée, toutes les réformes étaient possibles, sans trouble et sans révolution. C’est ce qu’il a fait de mieux !

Depuis quelque temps, cependant, on sentait bien que cet habile président du conseil était au bout de son programme et même au bout de ses forces, que son règne était épuisé. Il est certain que les conservateurs, pour leur part, avaient fini par se lasser de la résignation à une politique qui froissait leurs instincts et croyaient le moment venu de reprendre un rôle plus actif. D’un autre côté, la division est entrée au camp libéral et ministériel. M. Sagasta a vu successivement se séparer de lui le général Martinez Campos et ses amis, le général Lopez