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à l’intérieur et à l’extérieur par un acte de force en procédant, comme ils l’ont fait il y a quelques jours, à l’exécution sanglante d’un malheureux condamné pour conspiration, du major Panitza, ils se sont abusés ; ils n’ont réussi qu’à se créer un embarras de plus. Que le major Panitza ait conspiré, cela se peut : il n’a pas plus conspiré après tout que les ministres eux-mêmes. Les révélations qui se sont produites dans le procès étaient aussi compromettantes pour le gouvernement que pour l’accusé. On a fait de ce condamné, qui avait été il y a quelques années un des héros de la guerre bulgaro-serbe, une victime sacrifiée à de faux calculs ou à de vulgaires ressentimens. Tout d’ailleurs semble assez mystérieux dans cette triste affaire. Par une coïncidence au moins singulière, le prince Ferdinand de Cobourg a quitté la Bulgarie avant l’exécution ; il est parti presque à l’improviste pour Carlsbad comme s’il voulait se dérober à la responsabilité du sang versé, — comme si par son départ il s’avouait impuissant à imposer un acte de clémence à son premier ministre, M. Stamboulof, qu’il a laissé avec le titre de régent à Sofia. La tragédie s’est accomplie en son absence, sans qu’il y ait participé ! La vérité est que les subterfuges ne servent à rien, que tout cela n’est pas fait pour accroître la popularité du prince Ferdinand devant l’Europe, pour désarmer la Russie, ni même pour aider au succès des démarches diplomatiques par lesquelles on se flatte encore en ce moment d’obtenir à Constantinople et ailleurs la reconnaissance de la souveraineté bulgare.

Peut-être dans un autre moment, dans d’autres circonstances moins troublées, y aurait-il eu quelque chance d’arriver, par un accord des cabinets, à régulariser une situation qui n’est, jusqu’ici, qu’un fait révolutionnaire en contradiction avec l’ordre oriental créé par le traité de Berlin. À l’heure qu’il est, le cabinet de Sofia risque fort de n’avoir pas plus de succès dans sa diplomatie que dans sa politique intérieure, d’en être pour ses démonstrations et ses représentations à Constantinople, où il a porté encore une fois la question de la reconnaissance du prince Ferdinand. Le gouvernement bulgare est d’autant plus exposé à ne pas réussir, qu’il paraît avoir engagé les négociations sur un ton d’arrogance et de menace. Il ne se bornerait pas, dit-on, à sommer le divan d’avoir à reconnaître le nouveau régime dans la Bulgarie et la Roumélie, il invoquerait des prétextes religieux pour soulever des questions contestées jusque dans la Macédoine. Il menacerait la Porte, si on lui déniait la reconnaissance qu’il réclame, de proclamer l’indépendance complète de la Bulgarie, de refuser le tribut dû par un État vassal à la puissance suzeraine. Bref, ce serait, sous une forme plus ou moins accentuée, un ultimatum adressé à la Porte. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, sur ces entrefaites, aux réclamations de la Bulgarie, la Grèce a répondu par d’autres représentations protestant d’avance contre les concessions que le sultan pourrait