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dans une telle œuvre un peu de ce décousu qui est la plaie du temps, de prétendre tout trancher par l’intervention et l’omnipotence de l’État, de compromettre enfin le travail lui-même, la prospérité de l’industrie par les excès de réglementation et de protection. Là est le danger, le piège de ces lois auxquelles on met la main dans un mouvement généreux et qui finissent quelquefois par tout ce qu’il y a de moins libéral, de plus compromettant pour l’État, de plus oppressif pour ceux-là mêmes qu’on veut protéger.

Qu’est-ce que cette loi nouvelle que le gouvernement propose aujourd’hui sur les accidens du travail, en modifiant un projet déjà discuté par le sénat ? C’est, certes, une des manifestations les plus éclatantes, les plus originales de ce qu’on appelle le socialisme d’État. M. le ministre du commerce, l’auteur du projet nouveau, s’efforce de préciser et d’aggraver la responsabilité des patrons, d’assurer l’indemnité due aux ouvriers victimes du travail, de régler les conditions des enquêtes qui décident de la nature et de la gravité des accidens. Jusque-là, rien de nouveau ou d’extraordinaire ; mais ce n’est là visiblement que la partie la plus simple, la plus inoffensive de la loi. M. le ministre du commerce s’est de plus ingénié à créer et à organiser un vaste système d’assurance générale obligatoire pour tous les chefs d’industrie, placé sous la main et l’autorité de l’État. Tous les patrons d’une même industrie, dispersés dans le pays, formeraient un même groupe et tous les groupes formeraient un ensemble relevant du gouvernement. C’est l’état qui, par ses agens, percevrait la prime d’assurance due par les patrons, — avec la faculté, au moins singulière, d’alléger les cotisations dans des cas déterminés par les ingénieurs. C’est l’État qui, par une caisse nationale d’assurance à Paris et par ses percepteurs en province, paierait aux victimes du travail l’indemnité qui leur serait allouée. C’est l’État qui ferait tout, qui serait le receveur, le payeur, l’assureur, le moteur unique de la grande machine industrielle par une immense mutualité dont il resterait l’arbitre, le régulateur souverain ! Ce qu’on propose, c’est tout simplement d’ajouter à l’omnipotence administrative de l’État une omnipotence nouvelle exercée par une légion de nouveaux fonctionnaires, enveloppant l’industrie française. C’est ce qu’on appelle le progrès libéral ! on n’en est pas encore là, il est vrai, et peut-être y réfléchira-t-on avant de donner à l’État ce nouveau rôle. Pendant ce temps, on discutait, ces jours passés, à la chambre et on votait en partie une autre loi réglementant le travail des enfans, des jeunes filles, des femmes dans les usines, les manufactures, les ateliers, les chantiers, et peu s’en est fallu qu’on n’y ajoutât les bureaux et magasins. Protéger l’enfance, l’adolescence, est sans doute une obligation de la puissance publique. Il y a déjà des lois qui ont organisé et assuré cette protection avec une prudente mesure. La loi nouvelle pousse cette organisation jusqu’à la minutie ; elle