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grandiose des Romains et l’on quittait la Provence pour entrer dans le Dauphiné.

Le Dauphiné, province frontière, abritée et écrasée tout à la fois par les contreforts des Alpes, était resté jusqu’à un certain point distinct du royaume de France. En vertu de l’acte qui l’avait réuni à la couronne, il donnait son nom au fils aîné des rois. Cette demi-autonomie, affirmée encore par l’esprit indépendant, ferme et fier des Dauphinois, faisait de cette province un perpétuel objet de tentation pour le duc de Savoie. Profitant de la minorité de Louis XIII, ce « fin renard, » Charles-Emmanuel, employait sa redoutable habileté à persuader à ses chers voisins qu’il fallait reconstituer l’ancien royaume des Allobroges : « La nature, disait-il, a fait des Dauphinois et des Savoisiens un seul et même peuple ; quand vous lui aurez donné un même maître, ils seront encore ces redoutables Allobroges qui furent la gloire des Celtes et la terreur de Rome. Renouez la chaîne des temps ; rattachez à vous l’ancienne dynastie de vos rois. »

On ne pouvait faire un usage plus heureux des exemples historiques. Les Dauphinois pourtant se méfiaient. Ils restaient attachés, sinon à la France, du moins à leur gouverneur, le brave et habile Lesdiguières. Connétable de France, gouverneur du Dauphiné, chef reconnu du protestantisme français, celui-ci était le véritable roi du pays. Sa puissance même n’était pas sans donner quelque ombrage au roi de France, son maître. Mais comme on ne pouvait l’abattre, on le ménageait. Il répondait de la sûreté de cette frontière et intervenait, pour son compte personnel, dans les querelles des princes italiens.

Sage administrateur, il s’attachait à développer le commerce et l’industrie, couvrait le pays d’édifices somptueux et de constructions utiles. Il était comme l’Henri IV Dauphinois. Dans son magnifique château de Vizille, on comptait cent vingt chambres, et notamment une belle galerie de tableaux et de sculptures. L’arsenal, rangé dans un ordre admirable et tenu avec la propreté la plus méticuleuse, contenait six cents armures, deux mille piques et dix mille fusils. C’en était assez pour tenir en respect les ambitions qui s’agitaient autour de la province.

Le Dauphiné présentait, dans la nature du sol et dans le génie des habitans, les mêmes contrastes que dans l’ordre politique : il y avait des contrées extrêmement fertiles, qui donnaient même d’excellens vins ; il y en avait d’autres absolument stériles où ne poussait guère que le noyer. De même, on remarquait une opposition absolue entre la lourdeur et la stupidité des paysans, la politesse et la vivacité des citadins.