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que, vue de haut, la ville avait l’air d’une harpe, penchée vers la mer. Ils en trouvaient les rues étroites, les monumens peu imposans, mais le port très beau, avec ses trois châteaux de Saint-Jean, d’If et de Ratonneau. Ils énumèrent complaisamment les produits si divers que ses marins allaient chercher dans les pays du Levant, et, en revanche, les vins, les huiles et les autres objets de négoce qu’ils exportaient au loin. On consacrait toujours une visite aux galères du roi et on s’attardait à écouter le chant des forçats, penchés sur la rame.

En Provence, on admirait des lieux de pèlerinage célèbres, Montmajou, la Sainte-Baume, Saint-Maximin, où l’on montrait une ampoule contenant une terre qui, comme celle de Saint-Janvier à Naples, se convertissait en eau et en sang à l’époque des dévotions. La Crau était célèbre par ses pierres qu’on disait tombées du ciel et « qui n’empêchaient point cette plaine d’être d’un plus grand rapport que les plus fertiles. » La Camargue élevait des milliers de chevaux et des bœufs sauvages. La cérémonie de la Ferrade donnait lieu à des fêtes qui attiraient un grand concours de peuple.

Aix, capitale de la Provence, s’enorgueillissait beaucoup de son nom latin, de son parlement, de sa chambre des comptes, de son université, de son archevêché et de son gouvernement. Avec tout cela, elle sentait la vie peu à peu s’éloigner d’elle. Elle en était réduite à étaler quelques édifices anciens, une grande vanité, et « un nombre considérable de noblesse et de personnes de qualité très propres en leurs habits et très polis en leurs mœurs. »

Avignon et le Comtat-Venaissin formaient une petite principauté indépendante. C’était une république italienne transportée au milieu de la France. Avec son gouvernement ecclésiastique, son « dôme » et son palais du vice-légat, Avignon ressemblait, paraît-il, à Bologne. On n’y entendait guère parler que la langue italienne et de nombreuses familles péninsulaires s’y étaient installées. Elle était toute remplie de prêtres et de moines ; mais aussi de ruffians et de juifs.

Les voyageurs mettent leurs successeurs en garde contre les services dangereux des premiers et ils dépeignent avec détails le curieux aspect des seconds. Tolérés par l’adroite politique du clergé, Vêtus et coiffés de jaune, ils vivaient là dans l’ordure et le mépris. Ils se jetaient sur les étrangers et leur offraient des marchandises de toutes sortes « avec une insistance qui eût été désagréable si elle n’eût été si facilement repoussée. »

Pétrarque attirait les poètes à Vaucluse. Orange et sa petite principauté, placée sous la suzeraineté du roi de France, offraient quelque curiosité pour le politique. On visitait le pont Saint-Esprit, ouvrage