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La Provence était moins prônée qu’aujourd’hui. Son ciel si pur, la douceur de ses hivers, la beauté de la mer, trouvaient nos pères moins sensibles que nous. Cependant, déjà on voyait poindre quelque aube de ces installations hivernales que la facilité des voyages a tant multipliées. Un voyageur observe que « dans tous ces petits ports de mer de Provence on mange à table d’hôte, chair et poisson, où chacun pour une pièce de vingt sols est traité délicieusement et proprement. On boit ordinairement à la glace, et c’est la coutume du pays, chaque fois que l’on sert à boire, de fringuer le verre et le présenter à demi plein d’eau qu’on verse toute, ou peu, ou point à sa volonté, avant que de l’emplir de vin qui est très brûlant en Provence et malsain, si on le boit sans eau. »

Cette côte délicieuse était loin d’offrir un tranquille séjour. Les Turcs et les Barbaresques l’infestaient. Leurs vaisseaux arrivaient brusquement et faisaient, dans les villages et jusque dans les villes, de terribles razzias. Il fallait être toujours sur ses gardes et, malgré tout, les prisons de Tunis et d’Alger regorgeaient d’esclaves enlevés ainsi sur les côtes méditerranéennes.

Outre ces maux aujourd’hui disparus, la Provence en connaissait d’autres qu’on réunissait dans ce dicton :


Le Parlement, le Mistral et la Durance
Ont fait la ruine de Provence.


Tout en se plaignant de son parlement, la Provence en était fière. Il l’avait régi souverainement durant les guerres de la Ligue, et la turbulence méridionale se vantait de l’avoir vu tenir tête simultanément à la France, à l’Espagne et à la Savoie. En 1614, les cœurs s’étant apaisés, la Provence était gouvernée pacifiquement par l’héritier des Guises, devenu le fidèle serviteur des rois. Elle cherchait son illustration dans la renommée des hommes de lettres : Du Vair, « cette aigle de l’éloquence française, » Peiresc, Malherbe, qui avait fait de la Provence son pays d’adoption. On notait déjà que les Provençaux étaient grands parleurs et vantards. Mais on s’arrêtait là ; on ne pouvait prévoir que, dans des temps de révolution, leur génie oratoire et tumultueux aurait sur les destinées de la France une plus haute influence.

La Provence commençait, du côté de l’Italie, entre Nice et Antibes. Toulon, récemment fortifié par Henri IV, prenait quelque importance. Marseille gardait une réputation de vieille ville républicaine et on notait ce qui restait debout de son antique organisation municipale.

Les voyageurs, montés à Notre-Dame, de la Garde, observaient