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et les habits de leurs femmes ne le sont pas moins ; elles en ont pour chaque âge et pour chaque état, pour le deuil, pour le mariage et pour les prières publiques. Si l’on voyait ailleurs des gens vêtus de cette manière, on croirait qu’ils se sont déguisés exprès pour faire rire ou pour monter sur un théâtre. » Tout ce pays, d’ailleurs très turbulent, très divisé, soutenu par les prétentions du Béarn et de la Navarre, se sentant déjà de la morgue espagnole, jouissait d’une sorte d’indépendance. L’action du pouvoir royal ne s’y faisait sentir que mollement et seulement dans les temps où les populations, lassées des dissensions locales, l’imploraient. Un voyageur observe que, dans toute cette région, les paysans ne sortaient jamais sans armes.

Enfin on se trouvait dans le pays de Gascogne, qui résonnait d’un langage nouveau :


Lo ne es bon gasconnet
Se ne sabe dezi
Iligue, hogue, hagasset.


Les bords de la Garonne étaient « bordés d’une infinité de bourgades, de grands châteaux et de maisons de plaisance. » Agen, situé dans un pays riche, agréable, fertile, était comme une seconde capitale pour le Midi. Elle s’illustrait du séjour qu’y faisait Scaliger.

Mais la vraie reine du Midi, c’était Toulouse. C’est aujourd’hui une ville morte. À cette époque, son influence rayonnait sur tout ce qui parlait le vigoureux et sonore langage que les puristes du temps étaient en train de reléguer au rang d’un patois méprisé. Des hauteurs de l’Auvergne, du Velay, du Quercy, de la Guyenne, de la Navarre, de l’Espagne, l’élite de la jeunesse descendait vers-son université. Ils recueillaient, sur les lèvres des professeurs, le suc de la tradition romaine et scolastique. Ils s’y séchaient au feu d’une doctrine âpre et autoritaire qui faisait de tous ses Gascons les plus redoutables serviteurs de l’autorité royale. Dès longtemps, on disait de l’université de Toulouse qu’elle était « l’école des plus grands magistrats et des premiers hommes d’Etat, » et le proverbe répétait à son tour :


Paris pour voir,
Lyon pour avoir,
Bordeaux pour dispendre
Et Toulouse pour apprendre.


La ville elle-même, toute construite en briques, était plutôt remarquable par l’antiquité que par la beauté de ses édifices.