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arrière-neveux de Noé, venant en Gaule peu après le déluge, la bâtirent et lui donnèrent ce nom. » Elle avait été érigée en évêché « dès le temps des apôtres, » et son église de Saint-Front passait, avec raison, pour l’un des plus anciens et des plus beaux bâtimens du royaume.

Le Périgord était plein d’une noblesse « innombrable, prompte, dure, aimant les querelles, avide de nouveautés et toujours prête à se mettre en mouvement pour le moindre objet. » « … Quant aux gens de condition inférieure, ils sont vains, dispos, fort gaillards et de longue vie pour leur naturelle sobriété… Ils sont fort affables, accorts, propres à toutes honnêtes actions et exercices, soit aux lettres, armes, arts mécaniques ou autres perfections. »

Au-delà du Poitou et du Périgord, joignant l’Océan, venait le pays de Saintonge, le comté d’Aunis et La Rochelle. C’était le centre du protestantisme français. Installé sur le bord de la mer, en relation constante avec l’Angleterre et la Hollande, il s’implantait, avec une gravité tenace, dans ces pays-bas de la France. Ce n’était pas le protestantisme cavalier et à la soldade de la Gascogne, rêvant les grands coups d’épée, le pillage des églises et la confiscation des biens du clergé ; c’était un protestantisme noir, austère, en robe, avec des figures très longues ; un protestantisme de ministres et de marchands.

Il y avait quelque chose de fier dans l’établissement de cette république municipale de La Rochelle, qui aurait voulu étendre sur la France, divisée en états confédérés, son esprit indépendant et sectaire. Elle vantait sa richesse, la hardiesse de ses marins, l’activité de ses commerçans. Elle obéissait orgueilleusement à son maire, « qui ne marchait jamais qu’entouré d’une garde. » La Rochelle entretenait soigneusement ses murailles, ses fossés, ses bastions, auxquels travaillaient les ingénieurs hollandais et que l’on citait comme le modèle de la défense des places. On assurait que la ville était imprenable et elle portait, en avant de son havre d’étroite embouchure, les deux grosses tours de la Chaîne et de Saint-Nicolas, veillant, comme deux sentinelles, sur le repos de la cité.

La Guyenne avait beaucoup perdu de son antique réputation. Dans son humeur ombrageuse, elle regrettait peut-être l’époque où, sous la domination lointaine des Anglais, elle était à demi indépendante. Un voyageur donne au Médoc cette louange restreinte, « que le pays n’est pas aussi mauvais qu’on le dit. » On remarquait, il est vrai, que la vigne y poussait bien et que le vin était généreux (surtout le vin de Grave, très en honneur) ; mais on ajoutait que les autres cultures y étaient peu prospères.

Bordeaux n’avait pas encore pris le grand élan que bientôt le