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C’était le pays des places fortes et des sièges célèbres. Depuis Calais, qu’une bande étroite rattachait à Amiens, jusqu’à Sedan, qui n’était pas encore français, on comptait Ardres, Montreuil, Abbeville, Amiens, dont la surprise et la reprise, sous le règne d’Henri IV, étaient dans toutes les mémoires ; puis Corbie, Péronne, Ham, Le Catelet, Saint-Quentin, La Fère, pressées l’une contre l’autre dans le Vermandois ; puis, dans la verte Thiérache, Guise, Ver vins et La Capelle, couvrant Laon, Soissons et Reims.

Depuis que la paix avait été signée à Vervins, la Picardie s’était remise à l’œuvre avec la ténacité de ces régions toujours meurtries et toujours vivaces. Le laboureur s’était remis à son champ et le vigneron à sa vigne. Les Picards sont laborieux, francs et braves. Ils ont toujours passé pour mutins et mobiles. Pourtant leur loyalisme n’a jamais fait défaut à la cause des rois. Les étrangers les trouvaient rudes et de mœurs peu hospitalières.

En avançant vers Paris, les voyageurs remarquaient une activité toujours croissante. Le mouvement de la batellerie sur l’Oise et sur la Marne les étonnait. Ce sont, disaient-ils, les deux « mamelles » qui donnent la nourriture à Paris. De véritables flottilles de bâtimens descendaient ou remontaient sans cesse leur cours. A partir du pont de Beauvais, un service de chevaux était organisé qui traînait les convois jusqu’à Paris.

L’Ile-de-France, le Beauvaisis, le Clermontois, se ressentaient plus encore que la Picardie du voisinage de la capitale : « Les collines environnantes sont fertiles en vignes, les vallées pleines de moissons et de vergers ; de nombreux troupeaux dans les prairies font un spectacle vraiment très agréable. »

Les villages étaient mieux bâtis. Ils avaient presque tous conservé la vieille église romane avec le campanile élevé sur la tour fortifiée du portail. Au-dessus des villes, les grandes cathédrales gothiques dressaient le dos énorme de leurs nefs et les deux bras des tours trop souvent dépareillées. Les hôtels de ville s’égayaient du carillon des provinces belgiques. Derrière de bonnes murailles, Laon, Saint-Quentin, Noyon, Senlis, Beauvais gardaient précieusement les traditions des vieilles libertés bourgeoises.

Du côté de l’est, Paris n’était séparé de la frontière que par la Champagne, haute et basse, le Barrois, le Bassigny et les Trois-Evêchés. La Champagne, comme l’Ile-de-France, était un des anciens domaines de la couronne. Mais les Trois-Évêchés étaient dans une de ces situations ambiguës, fréquentes alors en Europe. Le lien qui les avait rattachés à l’Empire n’était pas tout à fait brisé. Pour qualifier cette sorte d’annexion incomplète, on disait qu’ils étaient sous la « protection » du roi de France. On cherchait par tous les moyens à étendre ce droit, et, selon la