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presque enfoncées dans la terre et couvertes de longs toits de chaume où pendent les gouttes de pluie ; sur le pas des portes, des commères en cotte et jupe de futaine, la tête couverte d’une coiffe à la Catherine de Médicis, faisant trois pointes, une sur le front, deux sur les oreilles ; des enfans demi-nus ; un pauvre loqueteux et béquilleux ; un valet de ferme avec le grand chapeau, les larges braies et les jambes ballantes sur un cheval étique, c’est ainsi que le burin d’Israël nous montre une de ces agglomérations rurales. Moins denses, moins peuplées que nos villages, elles montaient d’après les évaluations des premiers statisticiens au chiffre de 23,000. On comptait, en France, 44,000 clochers, et on évaluait la population totale du pays à environ 16 millions d’habitans.

Pas ou peu de chemins. Les larges roues des chariots creusaient, dans la terre, les ornières qui marquaient les routes. En été, cela passait encore ; en hiver, on ne pouvait circuler. Aussi les voyages par eau étaient en grand honneur. Les coches très fréquentés faisaient un service assez régulier. Et puis on allait à cheval, à pied. Le temps ne comptait pas. Pourtant quelques routes pavées, sur lesquelles galopaient les postes du roi, reliaient entre eux les grands centres.

La pénurie des moyens de communication gardait à chacune des régions de la France une figure particulière. De la frontière à Paris, on passait successivement par des provinces rattachées plus ou moins étroitement à la couronne : celles qui faisaient partie du royaume depuis mille ans et celles qui en étaient depuis la veille. Cette diversité de situation politique se manifestait par des divergences très grandes dans l’aspect même des choses. Les voyageurs observent tous le contraste que présentent la richesse de certaines contrées et la pauvreté des autres. Leur admiration se dilate au soleil de la tiède Touraine et se glace parmi les misères de la Bretagne, de la Marche et du Limousin. Ils s’attachent à décrire la physionomie propre de chaque province, et, malgré la maladresse de leur pinceau, ils y parviennent, parce que les mœurs, la langue, le costume, présentaient des traits distincts et nettement accusés.


I

Les voyageurs qui entraient dans le royaume par la frontière du Nord traversaient d’abord une région cruellement éprouvée par les guerres récentes. La Picardie étalait encore les vestiges du long séjour des armées espagnoles : des églises basses et sans ornement, relevées à la hâte entre deux destructions ; des villages fortifiés ; des souterrains et des retraites profondes dans les bois, où le peuple se réfugiait à l’approche de l’ennemi.