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intervalles qu’une éclaircie de nuées permet d’apercevoir la marche du boulet noir sur le boulet rouge. La lumière ne paraît pas diminuée. Le temps s’écoule. Le ciel est maintenant complètement pris ; le soleil et la lune ont disparu pour la journée. Soudain, en une minute, l’obscurité se précipite sur la terre, en même temps que l’air se refroidit sensiblement. Ce n’est pas la nuit noire ; mais la rapidité inaccoutumée avec laquelle cet envahissement s’est produit a arraché à la foule impressionnée des exclamations de stupeur dont le murmure s’est prolongé pendant toute la durée de la transformation. Les minutes se succèdent ; l’attention des gens, moins absorbée, leur permet de se rendre compte de ce qui se passe autour d’eux. Un de nos compagnons de toit se met à rire en montrant, dans la salle ouverte d’un hôtel voisin que nous dominons, deux jeunes servantes qui regardent avec étonnement l’horloge accrochée au mur et se mettent à allumer des lampes et des lanternes, croyant la nuit venue. Évidemment elles n’ont pas connaissance de l’éclipsé ou manquent de notions sur ce phénomène.


Nous faisons nos préparatifs pour nous éclipser à notre tour demain matin.

Miss O-Hana-San vient rendre visite à la villa Koku-ya. Son père est arrivé ici depuis quelques jours, accompagné d’un petit chien de l’espèce appelée tsin, dont il lui a fait cadeau.

Le tsin est une bête de la grosseur d’un chat, aux membres fluets, aux yeux obliques et au nez épaté. Il est impossible de se méprendre à son origine. On s’écrie tout de suite, en le voyant pour la première fois : « Tiens ! un chien chinois ! » Si cette ressemblance n’est pas fortuite, elle est un exemple frappant de l’influence du milieu.

La même race se trouve en Chine, seulement un peu plus trapue et plus variée quant à la couleur du poil, qui, au Japon, est généralement blanc et noir.

Le tsin est le seul chien de luxe du pays. Quand il a dépassé certaine époque critique, dangereuse pour lui, il atteint le prix de 50 à 60 francs. Il est toute sa vie d’une santé extrêmement délicate, et sa nourriture doit être composée avec discernement. Ces soins impliquent la présence, dans le tsin, d’avantages physiques ou moraux. En effet, son poil est long et fin. Il est intelligent, adroit, et susceptible d’apprendre toutes sortes d’arts d’agrément. Il cabriole, se tient debout sur ses pattes de derrière, obéit au commandement, fait sauter en l’air un bonbon posé sur son nez camard, le rattrape et le croque.