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vous avez bien voulu me donner une tranche. J’ai deviné le motif de votre charité et j’ai prévu ce qui vient d’arriver. Maintenant, poursuivit-il en sortant de dessous sa robe, intact, le morceau de fugu en question, je vais attendre l’effet que produira sur vous le repas que vous venez de prendre avant de toucher moi-même à ce dangereux aliment.


Il y a à Kusatsu cinq ou six sources principales. La plus abondante et la plus chaude est celle de Netsu-no-yu. On y voit les cliens affluer en un grouillement curieux à l’œil, mais dont le contact serait singulièrement désagréable pour un baigneur européen.

Les établissemens affectent tous l’apparence d’un lavoir protégé par un toit et divisé, au moyen de planches, en compartimens de températures différentes. Le premier degré est celui d’un bain japonais ordinaire. La plupart des étrangers qui sont venus au Japon ont tenu à entrer dans un bain indigène ; quelques-uns, non prévenus, sans défiance. Rien d’amusant alors comme la précipitation avec laquelle on les en voit sortir. Généralement, cette tentative n’est pas renouvelée et on se contente d’admirer le degré de résistance à la cuisson des gens qui prennent leurs ébats dans un pareil liquide. En réalité, trois ou quatre expériences suffisent à habituer le corps, qui finit par se trouver à l’aise au milieu d’une température jugée excessive au début. A la source de Wasi-no-yu, le thermomètre, dans la piscine infernale, marquait 50 degrés centigrades. Personne, Japonais pas plus qu’Européen, ne pourrait supporter sans préparation une eau aussi chaude. Mais, en peu de jours, le baigneur capable d’un petit effort de volonté arrive, par une sage gradation, au maximum. Alors il ne croira jamais se tremper dans « le cristal d’une onde pure, » mais il sera étonné d’endurer une eau dans laquelle il se serait primitivement brûlé la main, rien qu’en l’immergeant.

Chaque établissement est militairement dirigé par un chef de bain (yu-tyo), qui est maître dans son lavoir après Dieu. Cinq fois par jour, au signal rauque jeté par une manière de conque en métal, les cliens, hommes et femmes, accourent dans le costume que les peintres attribuent aux allégories figurant l’innocence ou la vérité. On s’asperge préliminairement la tête, de crainte des congestions, et, sur le commandement du yu-tyo, tout le monde entre d’un même mouvement dans la chaudière. Les faces seules émergent, moins le menton, avec des expressions de personnes en proie à la question. La durée du bain est de trois minutes, ni plus ni moins. Quiconque se permettrait de sortir avant ce laps de temps s’exposerait à une expulsion de la part du chef. Chaque demi-minute, ce personnage, qui a bravement donné l’exemple en se plongeant à