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préhensile chez les Japonais et que les ménagères emploient fréquemment à titre auxiliaire dans leurs travaux de couture. Puis, le pied s’est posé sur la semelle en paille de riz d’un geta d’ordonnance, au contour verni de laque noire, en maintenant par la seule pression latérale de l’orteil contre un cordonnet rigide, la haute chaussure sonore dont le bruit sur le sol durci s’entend de si loin dans la campagne pendant les nuits d’hiver. Alors notre élégante, précédée par la famille, a, de sa démarche trottinante, pris le chemin de la gare, la mine éveillée, disposée à tout admirer, ne demandant qu’à s’émerveiller devant tout spectacle nouveau ou connu.

Telle était au départ la composition de notre wagon dont la physionomie se modifiait peu à peu aux stations par la perte et le renouvellement des voyageurs, sans que son contingent cessât d’être au complet jusqu’à Takasaki. Ainsi, dans l’ordre physiologique, l’être se reconstitue perpétuellement dans le va-et-vient de ses absorptions et de ses éliminations.


Une heure et demie d’arrêt à Takasaki, le temps de déjeuner et de réunir des jin-riki-sya et des traîneurs. Ce véhicule est aujourd’hui suffisamment connu, sous la dénomination de pousse-pousse, pour qu’il soit superflu de le décrire. Nous aurons trois coureurs par voiture : l’un poussera devant lui la traverse du brancard ; le second, par derrière, accélérera ce mouvement, les mains appuyées sur la capote ; le tout au pas de course. Le troisième n’aura d’autre occupation que de se reposer. C’est un rôle qui sera alternativement rempli par nos coursiers à face humaine. Les bagages, peu encombrans du reste, sont déjà partis par une autre direction, sur le dos d’un cheval, — un vrai cheval celui-là, — et nous les trouverons en arrivant à destination.

Il faut se hâter, car il reste tout juste le temps d’arriver à Sannokura avant le coucher du soleil. Cette lumière naturelle éteinte, on ne se promène plus, bien entendu, en jin-riki-sya dans les chemins de montagne. Aussi un retard de trois quarts d’heure pourrait-il allonger le voyage d’une journée et entraînerait en tout cas une installation défectueuse, car, en dehors des relais, les ressources sont presque nulles.

Le proverbe des premiers Espagnols établis en Amérique : « Tu vois un Indien, tu les a vus tous, » peut s’appliquer aux villes japonaises, qui ont entre elles bien plus de ressemblance que celles de nos pays. Takasaki, qui est un assez gros endroit (11,000 habitans), ne diffère pas plus de Yokohama qu’une tranche de gâteau du gâteau entier. Nous traversons la ville dans toute sa longueur