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se voit délaissé, sans que cet abandon, grâce à l’heureuse philosophie de la nation, entraîne jamais de catastrophe.

Plus loin, trois officiers de cavalerie se rendant à la garnison de Takasaki. Ceux-là contrastent avec leurs tranquilles compagnons de wagon par des manières plus turbulentes, par les éclats d’une voix plus bruyante qui pourtant ne serait guère chez nous que le diapason d’une conversation ordinaire. Les Japonais ont le geste sobre, le ton modéré : « Si les Français n’avaient pas de mains, disent-ils en riant, ils ne pourraient pas parler, » signalant par cette moquerie les mouvemens, exagérés à leurs yeux, qui nous servent à souligner nos discours. Mais l’homme de guerre à qui l’organisation en vigueur interdit aujourd’hui, tout aussi formellement que chez nous, la moindre vexation à l’égard du pékin, conserve encore une certaine accentuation de manières qui l’empêche d’être un simple civil déguisé. — On retrouve chez ces trois militaires un souvenir du samouraï d’autrefois, élevé dans l’ignorance, le dédain de tout ce qui ne concerne pas le métier des armes. De même que presque tous leurs collègues de l’armée, ils appartiennent très probablement à l’ancienne petite noblesse. Très soignés dans leur mise, ils ont sous leur uniforme, assez semblable au nôtre, cette sorte de distinction anguleuse que la maigreur japonaise affecte assez souvent sous notre costume. — L’éducation de la société relevée, dans l’art de porter l’habillement occidental, est à présent en bonne voie. D’année en année, les Japonais ont réalisé à cet égard des progrès incontestables. Les accoutremens grotesques abondent, mais les coupes correctes, élégantes même, ne manquent pas non plus. Bien entendu, je ne parle ici que des hommes.

Puis voici de bons marchands ne faisant pas fi, eux, du costume national que cette classe, qui était une caste trente ans auparavant, gâte pourtant fréquemment par l’adjonction du chapeau et des souliers. Leurs traits ronds les distinguent des profils aquilins des trois lieutenans, en rappelant la séparation qui existe entre les descendans des soldats du conquérant Zim-mu et les fils des Aïnos assujettis, de même que leur teint plus clair, leur embonpoint prononcé de personnages vivant d’une occupation non manuelle, les différencient des hommes de même race qu’on aperçoit par les portières, en une rapide vision, penchés sur leurs rizières. Ils ont moins de prestance, tiennent moralement moins de place dans ce wagon que les trois guerriers, mais les plis de la robe indigène croisée en forme de V sur la poitrine, enserrent probablement un portefeuille plus gonflé de billets de l’In-satsu-Kyoku, la banque du Japon, que celui caché dans la poche du dolman noir à brandebourgs. Et ces