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littérature hébraïque subirent ainsi, vers le temps d’Ézéchias, de profonds remaniemens.

Beaucoup de lettrés du Nord s’étaient réfugiés à Jérusalem après la destruction du royaume d’Israël. Ils apportaient avec eux des textes d’une grande beauté littéraire, à peine connus à Jérusalem. Il s’agissait de fixer toute cette partie de la tradition, qui allait se perdre. Nous avons vu le travail qui s’accomplit sur l’Histoire sainte. Le récit unifié s’arrêtait, comme les deux récits séparés, à la conquête censée de la Palestine par Josué et au partage de la terre entre les tribus. Cette histoire avait un caractère essentiellement religieux, et toujours elle eut son cadre à part. Mais une curiosité bien naturelle faisait désirer aux gens quelque peu réfléchis de savoir ce qui se passa ensuite. De la conquête de la Palestine à l’établissement de la royauté, s’écoula un long intervalle, où Israël n’eut que des sofetim intermittens ; c’était l’âge héroïque de la nation, le commencement de l’histoire proprement dite. Le Iasar ou Livre des guerres de Iahvé contenait sur ces temps des renseignemens inestimables, des chants d’une lecture toute primitive, des aventures d’un rare intérêt. Racontées à un point de vue profane et sans but d’édification, ces vieilles histoires avaient un charme qui captivait tout le monde. Il n’y avait qu’à les extraire. C’est ce que fit l’auteur du livre des Juges. Il retoucha très peu le texte qu’il trouva établi, n’y ajouta que des réflexions destinées à montrer les malheurs du peuple comme suite de ses infidélités, retrancha sans doute peu de chose. Ainsi un trésor nous est parvenu, un texte du IXe ou Xe siècle avant Jésus-Christ, retrouvable encore à travers les corrections des scribes postérieurs[1].

Los récits des Guerres de Iahvé et les chants du Iasar allaient, selon nous, jusqu’à l’avènement définitif de David à la royauté de Jérusalem. Ces récits du temps de Saül et de la jeunesse de David ont formé le fond des livres dits de Samuel ; mais ici des élémens d’autre provenance ont été mêlés ou ajoutés : d’une part des pièces et des fragmens de mazkirim du temps de David ; de l’autre, des pages de médiocre valeur, tirées de Vies de prophètes et d’écrits tout à fait légendaires.

De la sorte, les parties essentielles des grandes compositions narratives du Xe siècle entrèrent dans des compositions plus récentes. Le Iasar, les Guerres de Iahvé, les Légendes patriarcales du Nord furent dépecés en quelque sorte au profit d’arrangemens postérieurs. Dans l’antiquité, une littérature ainsi exploitée, non-seulement n’était plus copiée, mais disparaissait vite. On croyait qu’elle

  1. Auparavant, sans doute, bien des histoires, comme celle de Samson, avaient été modifiées.