aventureux que possible ; il a pu prévoir l’empire et tout ce qui s’en est suivi, auquel cas il est difficile de lui reprocher d’avoir repoussé le suffrage universel.
Et, sans faire d’hypothèses, et à prendre les choses en gros, il a cru qu’il fallait marcher pas à pas, et que l’intervention brusque d’une force inconnue comme celle du suffrage universel ne pouvait être pour le pays qu’une secousse terrible, et que le suffrage universel en 1848, c’était vraiment trop tôt. — Il a pu croire encore, en se reportant à ses principes généraux, que, dût-on organiser le suffrage universel comme instrument politique, il ne faudrait pas lui donner tout. Le suffrage universel, du moins en France, à la condition qu’on ne le trompe pas, est, et surtout sera, à mesure qu’il sera plus malaisé de le séduire, élément de stabilité. Il n’est pas élément de progrès, d’innovation, d’invention et d’habileté. Il ne pense pas, et n’a pas le temps de penser. Il n’a pas d’idées. Il ne poursuit pas un but. Il n’a pas à proprement parler de volonté ; car il ne sait pas ce qu’il veut. Il sait ce qu’il ne veut pas. Ses décisions, on peut vérifier, ont toujours le caractère d’une protestation, d’un refus, d’un halte-là. C’est toujours, non pas quelque chose qu’il demande, mais quelque chose qu’il repousse ; ce n’est pas une voie qu’il ouvre, c’est un chemin où il refuse de s’engager. C’est pour cela même qu’il est si essentiel de connaître son sentiment ; car savoir ce que ne veut pas le peuple est nécessaire pour éviter les explosions, ou seulement les grands malaises sociaux. Mais ce n’est pas ce qu’il veut qu’il faut lui demander ; car il n’en sait rien ; ce n’est pas à lui-même qu’il faut demander de se gouverner ; car il ne le sait pas. Dans une constitution bien faite, le peuple, par la chambre qui le représenterait, devrait avoir le veto, et les classes pensantes, par la chambre qui les représenterait, l’initiative. A tous les égards, le suffrage universel devait donc paraître à Guizot, comme évolution historique, prématuré, et, à le prendre rationnellement, imparfait.
Quant à l’extension limitée du droit de suffrage, quant à l’abaissement du cens et à l’adjonction des capacités, Guizot avait des raisons très graves, quoique d’un caractère un peu personnel, pour repousser aussi cette réforme moins radicale. Cette opposition contre laquelle il combattait avec tant d’énergie, cette opposition remplie ou au moins touchée de « l’esprit de 91, » cette opposition qui ne détestait pas assez, selon lui, une certaine agitation à l’intérieur et une certaine propagande révolutionnaire à l’extérieur, d’où venait-elle, et qui l’envoyait à la chambre ? Précisément, cette bourgeoisie du second degré, cette bourgeoisie des médiocres fortunes, et cette bourgeoisie des « capacités » qu’on voulait faire entrer à rangs plus pressés dans le corps électoral et dans le « pays légal » comme on disait alors ; cette bourgeoisie du second degré, que Guizot