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circonstances particulières qui nous échappent. Les hypothèses simples sont presque toujours les hypothèses fausses, et, si nous voyions les choses telles qu’elles se sont passées, nous reconnaîtrions que, sur une foule de points, nous avions conçu les choses comme plus régulières qu’elles ne le lurent en réalité.


II

Le règne d’Ézéchias fut une époque de grande activité littéraire ; ce fut ce qu’on peut appeler l’époque classique de la littérature hébraïque. Chaque développement humain a ainsi son heure d’accord parfait, où toutes les parties du génie national battent leur plus haute note à l’unisson. La langue hébraïque atteignait la perfection. Outre Isaïe et son école, qui possédaient admirablement la tradition de l’ancienne éloquence, beaucoup d’écrivains d’un rare talent maintenaient la langue et lui faisaient encore produire des chefs-d’œuvre. Une compagnie d’hommes qu’on appela plus tard « les hommes d’Ezéchias[1] » apparaît autour du roi, occupée avant tout d’extraits et de compilations ; mais sans doute aussi, à quelques égards, ce fut une académie littéraire, préoccupée de style. Le roi lui-même cultivait avec succès la poésie lyrique et parabolique. La baisse rapide qui se remarque en cent ans, d’Isaïe à Jérémie, dans la manière d’écrire l’hébreu, montre qu’on était à une de ces époques où, pour conserver la langue, il fallait des précautions, une sorte de garde de l’État.

L’écriture était devenue en Judée d’un usage tout à fait ordinaire. Les arrêts de la justice se rendaient par écrit ; on les portait avec orgueil attachés à l’épaule, quand ils vous étaient favorables. Le spécimen que nous avons de l’écriture de Jérusalem au VIIe siècle[2] nous montre un caractère déjà fatigué, affectant les lignes courbes, tournant au cursif. La matière sur laquelle on écrivait était probablement le papyrus préparé, ou rharta, importé d’Egypte. La forme du livre ou du document un peu étendu (sépher) était le rouleau. Le moment où l’écriture devient ainsi très commune et où la matière sur laquelle on écrit cesse d’être d’un prix élevé est presque toujours un moment littéraire important. On se met à rédiger une foule de choses qu’on n’avait pas encore fixées ; on codifie ce pourquoi la tradition orale avait suffi jusque-là. C’est le moment des compilations et des recueils. En Orient, nous l’avons dit, recopier, c’est le plus souvent refaire. La plupart des documens de l’ancienne

  1. Prov., XXV. I.
  2. Inscription de Siloé.