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aussi et se rendre compte, renseigner et se renseigner, des pères de famille choisis par le corps des pères de famille de la nation. Mais ceci même ne donnerait point satisfaction au principe et au besoin de liberté. La liberté, en fait d’enseignement, ne peut donc pas s’organiser intérieurement, pour ainsi parler, s’organiser dans la chose d’état elle-même ; reste qu’elle s’organise en dehors de l’état ; c’est où il faut se résigner, et c’est à quoi Guizot s’est rangé avec beaucoup de franchise et de courage.

La liberté d’enseignement était inscrite dans la charte de 1830. En 1833, il l’a fondée dans l’enseignement primaire. À plusieurs reprises il a ramené cette question dans les discussions parlementaires, au point de vue des autres degrés d’enseignement. En 1836, en 1841, en 1844, en 1846 il a ou soutenu ou proposé, ’selon qu’il était ministre ou député, cette grande et délicate réforme, et toujours avec ces mêmes argumens que nous connaissons, toujours en se plaçant au point de vue de l’État et de l’intérêt de l’État, plutôt qu’au point de vue du principe libéral abstrait et d’un droit de l’homme, toujours considérant la liberté comme un élément de progrès pour l’État lui-même, toujours disant : la liberté ce n’est que la quantité d’initiative personnelle qui serait perdue pour l’État dans le système purement autoritaire, que nous forçons, en lui permettant d’être, de revenir, même involontairement, au profit de l’État, en ses derniers effets ; et, par exemple, dans l’espèce où nous sommes, disant : « Le régime de la concurrence, le spectacle de la liberté tourneront au profit de l’État, au profit des établissemens de l’État, au profit même du gouvernement qui les dirige. »

De ce système futur d’enseignement national, avec l’État au centre, donnant l’enseignement tel que le conçoit la partie centrale du pays, avec la liberté d’enseignement à l’aile gauche et à l’aile droite, surveillée encore par l’État, et tenue à respecter la morale publique, la constitution et ses lois, il avait donné comme l’image réduite et le premier crayon dans son admirable loi de 1833 sur l’enseignement primaire, qui a réellement fondé l’enseignement primaire en France. L’enseignement primaire libre, pouvant être donné par tout homme qui justifie d’une instruction suffisante pour le donner, répandu ainsi sur toute la surface du pays par tous les hommes de bonne volonté, surveillé par l’État seulement au point de vue du respect de la morale et des lois ; — au milieu, en quelque sorte, de cet enseignement, un enseignement donné par l’État pour servir de modèle, de guide et d’exemple, ne gênant point l’initiative privée, ne la faisant pas reculer devant lui, vivant sans hostilité à côté d’elle, mais destiné surtout à pénétrer jusqu’où elle n’a