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institutions très réelles et très vivantes sont venues s’adapter au régime administratif que nous tenions de l’Empire. La liberté y est entrée avec succès pour elle-même et avec succès pour le pouvoir. »

Voilà la tâche libérale. Elle ne consiste pas à détacher le citoyen de l’État, mais à l’y rattacher au contraire ; seulement il s’agit de l’y rattacher, non par un joug qu’il en reçoit, mais par des services qu’il lui rend, de l’y rattacher, non en faisant peser l’État sur lui, mais en le faisant peser dans une certaine mesure sur l’État. A cela servent conseils municipaux élus, conseils généraux élus, maires choisis parmi les conseillers municipaux, commissions consultatives associées au travail de l’administration, enquêtes sur les grandes questions économiques, industrielles ou agricoles, etc. Régulariser la liberté, voilà le but. Cette agitation perpétuelle qui est dans une nation, agitation faite de besoins, de désirs, de souffrances, d’idées, de rêveries et de chimères, le tout mêlé, ce qu’il faut, ce n’est pas la réprimer, ce n’est pas même la laisser avec dédain s’exprimer et s’exhaler dans les discours populaires ou dans les déclamations de la presse, c’est lui donner et une issue légale et une forme régulière, c’est, en lui permettant de s’exprimer régulièrement, la solliciter à s’exprimer avec calme. Toute la méthode consiste et tend à ramener la liberté de l’état violent à l’état normal, et, par conséquent, ou, du moins, il y a lieu de l’espérer, de la stérilité à la fécondité.

On voit comment Guizot cherche à résoudre la question pour ce qui est des choses d’administration proprement dite. Pour les choses d’enseignement, plus délicates, il cherche à la résoudre d’une manière analogue en s’appuyant sur les mêmes principes. L’enseignement est une chose d’État. C’est une de ces « grandes machines » que l’Empire nous a léguées. Il convient qu’il reste tel. Ce n’est pas en peu de temps que l’initiative privée peut remplacer une si vaste et si minutieuse organisation. Remarquez qu’ici le « juste milieu » exige aussi que l’enseignement reste chose d’état. L’initiative privée ne trouve force, cohésion et ressources qu’en se subordonnant aux grands « partis » qui divisent la nation ; c’est son mode d’organisation naturel et presque nécessaire et fatal. L’enseignement privé sera donc un enseignement inspiré par l’esprit de parti ; en ôtant aux mots leur sens injurieux et violent, on doit convenir que l’enseignement privé sera un enseignement factieux. Il aura donc pour caractère une extrême et infinie diversité de tendances ; il instruira la nation en la divisant. Ce n’est pas si mauvais ; ce n’est pas chose devant quoi l’on doive reculer avec horreur ou effroi ; l’uniformité dans l’enseignement n’est point l’idéal ; c’est même la langueur et la torpeur, et ce finirait par être la mort, en une chose qui doit être plus que toutes animée